19 nov. 2010
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| La traversée du désert de la cocaïne |
Un sommet de la drogue a été organisé en Afrique, fin octobre, pour établir les nouvelles routes de la cocaïne. A la table des négociations, les cartels colombiens et un émir d’Aqmi, suspecté d’être l’assassin de l’otage Michel Germaneau.
C’est une scène qui ne déparerait pas dans un deuxième remake de Scarface : une petite île à l’ouest de l’Afrique avec sa piste d’aviation privée et la maison qu’un narcotrafiquant s’est fait construire au pied d’une colline. A l’intérieur de la demeure, les gros bonnets des cartels colombiens, leurs lieutenants chargés de la logistique, divers contrebandiers sahéliens et un représentant de l’organisation terroriste al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi)…
D’après un document diplomatique dont nous avons pris connaissance et confirmé par plusieurs sources, la CIA vient d’alerter les autorités de Guinée-Bissau qu’un sommet de la coke s’est déroulé sur son sol à la fin du mois d’octobre. Cette réunion a eu pour cadre une île de l’archipel des Bijagos.
L’ordre du jour des barons de la drogue colombiens ? Passer en revue les routes de la coke du golfe de Guinée jusqu’en Europe et nommer les nouveaux responsables de son acheminement, une série d’arrestations ayant ces dernières semaines décapité leur réseau de distribution.
100 % garanti
La participation d’« Abdelkrim le Touareg », un émir d’Aqmi, à ce sommet de la coke apporte la preuve de l’intérêt croissant de l’organisation terroriste pour le narcotrafic. Aqmi, qui opère dans une immense zone désertique située aux confins de l’Algérie, de la Mauritanie, du Mali et du Niger, est un passage obligé de la « Sahel Connection ». Un policier fin connaisseur de l’Afrique ose la comparaison avec notre banlieue parisienne. « Un quartier déserté par les forces de l’ordre, ceux qui en ont le contrôle peuvent y faire ce qu’ils veulent. C’est pareil au Sahel. »
Plus précis, un trafiquant de drogue aurait raconté aux services secrets français comment il travaillait avec Aqmi. D’après lui, les terroristes assuraient aux « narcos » une garantie sur 100 % de la marchandise de l’entrée jusqu’à la sortie de leur territoire. L’enquêteur déjà cité s’interroge de ce qui ressortira du « consortium » des Bijagos. « On s’attend à de nouvelles méthodes. Les Colombiens et Aqmi ne se sont pas déplacés pour rien. »
Il y avait urgence. La police marocaine a démantelé le mois dernier une branche du réseau, tombée pour avoir envoyé au moins 600 kg de cocaïne en Europe via le Mali, le Maroc et l’Algérie.
« Air Cocaïne »
Le ministre marocain de l’Intérieur a déclaré que ce réseau international était dirigé par les cartels basés en Amérique latine : « La drogue en provenance de Colombie et du Venezuela arrivait dans le nord du Mali, où elle était stockée. De là, Aqmi lui faisait traverser le Sahara – par la Mauritanie ou l’Algérie – pour l’acheminer au Maroc, voire jusqu’en Europe. »
En garde à vue, une des têtes du réseau aurait, d’après nos informations, beaucoup parlé. L’homme aurait notamment révélé avoir été impliqué dans l’affaire dite « de l’avion d’Air Cocaïne ». En novembre 2009, un Boeing 727 en provenance du Venezuela avait dû se poser en catastrophe dans un champ de mines dans la région de Gao, au Mali. Il transportait près de 10 tonnes de cocaïne. Sa marchandise avait été déchargée avant que l’avion ne soit incendié. Lors d’une rencontre au printemps, la DEA, les « stups » américains, nous confiait que les trafiquants avaient pris le temps de retirer tous les numéros de série de l’avion.
Des émules sur le Net
Selon le trafiquant impliqué au Maroc, des membres d’al-Qaida ont conf-duit un camion de carburant jusqu’au Boeing. Les terroristes auraient tenté de faire démarrer l’appareil, mais sans pouvoir décoller du fait de la mauvaise qualité du carburant. Avant ce témoignage, différents services de renseignement évoquaient des 4 X 4 d’Aqmi qui avaient évacué la drogue. « On a compris qu’al-Qaida était derrière et qu’on ne reverrait jamais la drogue quand on a vu qui vivait à côté », raconte une source proche de l’affaire. A quelques dizaines de kilomètres se trouve le village d’Iyad ag Ghali, un intermédiaire entre les autorités maliennes et l’émir d’Aqmi Abou Zeid. Cet ex-chef rebelle était intouchable. Il négociait pour la France la libération de l’otage Pierre Camatte.
« Au Mali, les drogues sont devenues le vrai business, raconte Anne Giudicelli, experte de l’agence Terrorisc. C’est devenu le principal moyen de subsistance d’Aqmi. Le budget de fonctionnement est assuré par les trafics, les rançons des otages constituent le fonds d’investissement pour les attentats. » Au printemps, Antonio Maria Costa, alors directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), faisait le même constat : « Dans le Sahel, les terroristes puisent dans les ressources du trafic de drogue pour financer leurs opérations, acheter des équipements et payer leurs troupes. » Joint en début de semaine, un responsable français de la lutte antiterroriste assure, lui, le contraire : « Pour Aqmi, en termes d’image, ce serait catastrophique. Les services secrets marocains et d’autres pays font passer ce message pour discréditer les terroristes. » En même temps, cette source ne nie pas la tenue du sommet de la coke et la participation d’Abdelkrim.
En attendant, Aqmi fait des émules. Un expert du terrorisme nous confiait récemment que, sur un forum Internet, des sympathisants ou membres identifiés d’al-Qaida au Moyen-Orient s’interrogeaient sur la position à tenir par rpport au trafic de drogue.
