- Back to Home »
- AFRIQUE , CENI , Collectif-ADP , Démocratie , GUINEE »
- Guinée| sortir du bourbier électoral
Posted by : Palabre-Infos
19 févr. 2013
Deux ans après la victoire d’Alpha Condé au
terme de la première élection vraiment compétitive de l’histoire de la
Guinée postcoloniale, le pays n’a toujours pas d’Assemblée nationale.
Les élections législatives s’annoncent compliquées : les tensions
ethniques avivées par l’élection de 2010 demeurent et le système
électoral est au cœur de la controverse. Une étape a été franchie en
septembre 2012, avec la création d’une nouvelle Commission électorale
nationale indépendante (CENI), mais la situation s’est bloquée à nouveau
en décembre autour de la question du fichier électoral.
Le président Condé doit engager un dialogue franc avec l’opposition, tandis qu’il
revient à la CENI d’arriver à une solution consensuelle à propos du
fichier électoral. Le pouvoir et l’opposition, avec le soutien
international, doivent consolider le système électoral. Des élections
législatives apaisées et crédibles, sont indispensables pour doter le
pays d’un parlement représentatif de sa diversité, donner sa place à
l’opposition et équilibrer le dispositif institutionnel. Elles sont
cruciales pour que l’espoir suscité par le remplacement de dirigeants
militaires illégitimes par un président civil élu ne se transforme pas
en désillusion.
Le dialogue direct, le Cadre de dialogue
politique inclusif (CDPI), sur l’organisation des législatives s’est
ouvert entre le pouvoir et l’opposition seulement le 27 décembre 2011,
un peu plus d’un an après la prise de pouvoir d’Alpha Condé. Il s’est
clos deux mois plus tard, sur un bilan limité. Entre mars 2012 et
février 2013, il n’y a pas eu de dialogue direct, mais interventions,
facilitations, consultations et annonces se sont succédé. Certaines
questions ont été réglées ou mises de côté, mais l’opposition a
maintenu son désaccord sur deux points fondamentaux : la CENI et le
fichier électoral. Peu après une nouvelle manifestation interdite de
l’opposition, le 27 août 2012, qui a suscité des troubles importants à
Conakry, les autorités ont entrepris la création d’une nouvelle CENI, et
le très controversé président sortant de la Commission a demandé à ce
que son mandat ne soit pas renouvelé. Son successeur, Bakary Fofana, a
présenté en décembre dernier un chronogramme fixant le scrutin au 12 mai
2013. Le temps du déblocage est-il donc venu ? S’agit-il là d’une
manière particulière de dialoguer, avec des menaces, des accusations,
des manœuvres et de l’agressivité, mais aussi avec des progrès ?
Les avancées des derniers mois sont en fait
loin d’avoir réglé l’ensemble des controverses. La désignation des
membres de la nouvelle CENI a ouvert un nouveau champ de tension, son
président a été rapidement contesté et c’est à cette institution déjà
controversée que la question cruciale du fichier électoral a été
transférée. Le conflit a finalement éclaté sur ce point le 10 décembre,
quand l’opposition a accusé Bakary Fofana d’avoir violé les règles de
fonctionnement de la CENI en ne diffusant pas un rapport préparé par
l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) sur ce sujet, et a
envisagé d’appeler à sa démission. La tension est encore montée le
lendemain, quand Fofana a annoncé les élections pour mai 2013 :
l’opposition a rejeté cette date, soutenant que la plénière de la CENI
n’avait pas été consultée sur ce point.
L’opposition a également protesté contre
les faiblesses techniques et l’absence de transparence dans la relance
de la révision des listes électorales ainsi que contre la non-prise en
compte du vote des Guinéens de l’étranger. Le 29 janvier, l’opposition,
élargie pour l’occasion à certains partis « centristes », a appelé à de
nouvelles manifestations et a rejeté le dialogue direct soudain proposé
par les autorités pour le 12 février, y voyant une simple manœuvre pour
les amener à annuler leurs mobilisations. Une nouvelle réunion de la
CENI, le 11 février, a vu la majorité pro-Condé de la commission valider
le dispositif actuel de révision du fichier électoral, tandis que les
commissaires issus de l’opposition quittaient la séance. La suspension
de leur participation aux travaux de la commission est évoquée.
La situation reste donc préoccupante. Aller
aux élections alors que l’opposition n’est pas d’accord avec le pouvoir
sur des paramètres fondamentaux présente un gros risque. Les autorités
prennent l’opposition de haut, et il leur a fallu presque une année
entière avant d’appeler à nouveau au dialogue direct. L’opposition, pour
sa part, continue de maintenir que le chef de l’Etat est arrivé au
pouvoir par la fraude et qu’il ne veut pas vraiment aller aux élections,
ou qu’il ne veut pas d’élections transparentes et consensuelles, et
elle accuse le régime de favoritisme ethnique. La société civile, qui,
unie, avait joué un rôle décisif à la fin des années 2000, est
maintenant profondément divisée selon des lignes où affiliations
politiques et ethniques se superposent largement. Des élections non
consensuelles sur fond de controverses ethniques posent de multiples
risques au niveau local comme au niveau national.
Par ailleurs, alors même que l’armée,
également travaillée par la question ethnique, n’a avancé que lentement
sur la réforme du secteur de la sécurité et que le niveau de tension
reste élevée entre des forces de sécurité habituées à l’impunité et une
population exaspérée par les violences militaires et policières, des
troubles électoraux pourraient dégénérer gravement. Ils pourraient entre
autres présenter une occasion rêvée pour ceux qui, dans l’armée,
acceptent encore mal leur sujétion nouvelle au pouvoir civil.
Le régime Condé ne peut pas se contenter de
mettre en avant sa volonté de rigueur dans la gestion publique et ses
ambitions en matière de développement, il doit savoir pacifier l’arène
politique. De plus, la crédibilité des élections est plus importante
encore que leur tenue rapide, même si après avoir perdu autant de temps,
le régime doit évidemment aller aux élections le plus vite possible, en
tout cas avant décembre 2013. Pour y arriver, un dialogue est
incontournable. Si la marche aux élections sera forcément marquée par
des tensions, il faut réduire au maximum les points de friction, mener
un véritable dialogue et reconstruire un minimum de confiance dans le
dispositif électoral. Il faut par ailleurs s’employer à renforcer la
capacité du système politique – justice, administration territoriale,
forces de l’ordre, CENI, partis politiques – et de la société civile à
faire face de façon correcte et crédible aux conflits qui ne manqueront
pas d’émerger au cours du long parcours électoral qui reste à accomplir.
RECOMMANDATIONS
Pour débloquer la situation électorale et garantir un maximum de crédibilité au scrutin
Au président de la république de Guinée :
1. Former avec les chefs des principaux
partis et les bureaux du Conseil national de transition (CNT) et de la
CENI une conférence périodique pour échanger sur la situation politique
globale et pour construire une compréhension partagée de la question du
processus électoral.
Au président de la CENI :
2. Mettre à la disposition de l’ensemble
des commissaires de la CENI l’ensemble des pièces se rapportant à
l’organisation des élections et engager une clarification des procédures
de révision du fichier électoral.
3. Rouvrir en plénière la discussion sur
le fichier électoral, en n’excluant aucune hypothèse quant à la solution
à retenir ; sur ce point comme sur les autres, la CENI doit parvenir à
une décision crédible, ce qui exige qu’elle opère sur la base du
consensus et non du vote majoritaire.
4. Prendre les dispositions nécessaires pour que les Guinéens de l’étranger puissent exercer leur droit de vote.
Au gouvernement guinéen :
5. Intensifier et médiatiser la répression
des crimes et délits commis par les membres des forces de défense et de
sécurité dans l’exercice de leur mission comme en dehors.
6. Envisager, en lien avec les
organisations impliquées dans la défense des droits de l’homme, la
création d’un observatoire de l’impunité.
7. Clarifier publiquement ses relations et
sa position vis-à-vis des différentes organisations de chasseurs
traditionnels « donzos », dont la présence dans des centres urbains
suscite des inquiétudes.
Au Mouvement social guinéen :
8. Mettre en place un dispositif
d’observation électorale s’inspirant de l’exemple de l’élection
présidentielle de 2012 au Sénégal.
Aux partenaires internationaux de la Guinée :
9. Mobiliser et appuyer les organisations
internationales et non gouvernementales intervenant sur les questions
électorales pour renforcer la crédibilité du processus électoral,
notamment :
a) en appuyant le Mouvement social guinéen dans la mise en place d’un dispositif d’observation électorale.
b) en préparant les représentants locaux des différents partis au sein de la CENI et de ses démembrements, mais aussi les magistrats, à la gestion des contentieux et litiges qui ne manqueront pas d’apparaitre au cours du processus.
SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS: International Crisis Group
Dakar/Bruxelles, 18 février 2013