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Posted by : Palabre-Infos 5 févr. 2013

Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH
« La légitimité du pouvoir ne se justifie que dans la limitation de l’arbitraire au profit de la liberté de tous. Liberté et égalité garanties par l'Etat pour tous les gouvernés » ; telle est la solution à l'épineuse question du pouvoir dans la pensée de l'écrivain et philosophe genevois Jean-Jacques Rousseau (1712-1778).

 
Le pouvoir est une des ressources dont dispose un système pour engendrer dans son environnement un changement conforme à son projet. Le pouvoir est distribué de façon inégale dans toute société. Nous vivons dans un monde hiérarchisé où les divisions de classe s’ajoutent à celles de sexe, de couleur, de langue, de religion, d’ethnie, de région, etc. Cette hiérarchisation permet à certains groupes d’exercer un pouvoir sur d’autres en toute légalité : la loi n’étant qu’une transcription des rapports de force dans une société à un moment donné.

Qui dit pouvoir sous-entend domination : la domination transcende les différentes facettes de la vie. On la retrouve aussi bien au niveau politique, économique, social ou culturel. C’est pourquoi on peut comparer le phénomène de la domination à un système d’oppressions multiples ; la domination ayant des répercussions non négligeables sur celles et ceux qui la subissent.

En Afrique in extenso et en Guinée en particulier, le pouvoir exécutif est depuis toujours l’institution de gouvernance la plus puissante. Sa tendance à monopoliser le pouvoir et à abuser de son autorité discrétionnaire a été observée partout et à toutes les époques, sous diverses formes et à des degrés divers :

  • Il a l’initiative de l’adoption des lois, des normes régissant tous les rapports avec les autres institutions et la société ; il en assure la mise en œuvre.
  • Il contrôle l’administration, il est le principal prestataire des biens et des services publics.
  • Il monopolise les forces de sécurité et de la défense nationale.
  • Il contrôle les principales ressources naturelles, matérielles et financières, assure la « promotion sociale » de ses zélateurs, des prébendiers.
L’épineuse question du pouvoir exécutif en Guinée m'amène à analyser trois indicateurs sur le tableau de bord de notre vie politique et institutionnelle :

  • Les germes, les ferments institutionnels et politiques du pouvoir absolu d’un exécutif fortement personnalisé et omnipotent. Ces symptômes relèvent d'un péché originel, d'un double plagiat tragique, fatidique opéré sous la première République par Ahmed Sékou Touré (AST) (1922-1984).
  • Le déséquilibre des pouvoirs au regard des prérogatives des différents acteurs au sein du pouvoir exécutif, d'une part, et face aux autres institutions républicaines, d'autre part. C'est la perpétuation d’un pouvoir exécutif hypertrophié, omnipotent.
  • D'où la nécessité d'un renforcement des contre-pouvoirs au pouvoir exécutif. La vitalité d’une démocratie se jugeant à l’aune de ses contre-pouvoirs.

I) Un double plagiat fatidique
Je vais procéder à une analyse factuelle dénouée de tout esprit partisan de l’histoire institutionnelle et politique d'un pouvoir exécutif qui fut fortement marquée dès ses débuts par un double plagiat effectué par son premier Président (PR).
Ce fut un mimétisme négatif de normes juridiques ; il aurait fallu adapter la quintessence, le meilleur de ce corpus aux réalités sociologiques de la Guinée:

1°) Le disciple de Charles de Gaulle
Le fameux « discours de Bayeux » de Charles de Gaulle (1890-1970) du 16 juin 1946 qui a enfanté la Constitution du 4 octobre 1958 et la Vème République françaises et dont la révision en 1962 consacrera définitivement la primauté, la prépondérance du PR et de l’exécutif sur les autres institutions. Alors que la IVème République était caractérisée par un régime parlementaire avec le Président du Conseil (l'équivalent du Premier ministre) qui était le chef de l'exécutif.
La première constitution guinéenne du 10 novembre 1958 en portera la marque. Elle fut bâclée en 10 jours avec 53 articles répartis en 12 titres. Le PR est le chef de l’exécutif et du « Cabinet ».
Le 26 avril 1970, à l’issue du congrès du PDG, AST nomme Louis Lansana Béavogui (1923-1984) au poste de Premier ministre (PM), un poste constitutionnellement inexistant.

2°) La Constitution du 14 mai 1982 ou le virage vers l'Est
C'est le tournant majeur avec le plagiat du système collectiviste des pays communistes de l'Est européen sous la férule de l'URSS, notamment dans son préambule et ses articles avec :
- Le changement de dénomination de l’Etat avec la « République Populaire Révolutionnaire de Guinée ».
- La fusion en une seule entité organique du PDG, parti unique, et de l'Etat : « le Pouvoir est exercé par le Peuple à travers le Parti Démocratique de Guinée (PDG), unique et exclusive force politique dirigeante qui intègre toutes les couches sociales en application du principe du Centralisme Démocratique ».
- L’exécutif national est tricéphale (art. 35 et Titre IV) : le Responsable Suprême de la Révolution (RSR) qui est le PR, le Bureau Politique (BP) et le Gouvernement.
Le BP assiste le RSR dans ses tâches ; le gouvernement est présidé par le RSR (art 57) ; le PM est spécifié (Art. 57) mais n’a aucune compétence explicite dans la constitution : c’est un PM fantoche et exécutant, le RSR décide et il exécute.
Quant au Parlement, il comprend 4 chambres que sont le Congrès National, l’Assemblée Constitutionnelle Suprême, le Conseil National de la Révolution et l’Assemblée Populaire Nationale.
Une des caractéristiques principales de cette première République se trouve dans « L'Aveu », un film français réalisé en 1970 par Costa-Gavras et magistralement interprété par Yves Montand (1921-1991) et Simone Signoret (1921-1985). Il est adapté du livre autobiographique d'Arthur London (1915-1986), une personnalité politique tchèque persécutée par le système malgré son passé irréprochable qui se retrouve accusée d'espionnage au profit des Etats-Unis. Des aveux lui seront extorqués sous la torture et sa femme le désavouera. Arthur London se rendra compte que même après la mort de Staline (1879-1917), l'URSS et les démocraties populaires (un modèle initié en Guinée) ne sont pas aussi libres qu'il l'imaginait et qu'il le voulait.
C'est le syndrome de la « complotite » et des aveux extorqués sous la torture puis émis sous la contrainte dans les médias. Une pratique qui perdure, hélas!, en Guinée. Le sinistre camp de détention dénommé « Boiro » fut l’illustration parfaite de la violence politique, le lieu de l’avilissement de la personne humaine.
En conclusion, les germes, les ferments institutionnels et politiques du pouvoir absolu d’un exécutif omnipotent en Guinée sont la résultante de ce double plagiat fatidique effectué par AST qui a fait des émules et eu des héritiers fidèles :
- Lansana Conté (1934-2008) lui rendra hommage en attribuant son nom au palais présidentiel appelé dorénavant « Sékoutoureya ».
- Alpha Condé, le PR actuel après avoir jeté aux gémonies, envoyé en enfer AST, subitement l'a qualifié de « patriote » dont il est question de parachever son œuvre, « finir son travail là où il l’avait laissé » (sic).

II) La perpétuation d’un pouvoir exécutif omnipotent

1°) La Constitution du 23 décembre 1990 ou la continuité
La Loi fondamentale avait prévu des dispositions transitoires pour 5 ans sous l’autorité du PR, chef du Conseil transitoire de redressement national investi également du pouvoir législatif (Art. 93).
L'article 24, révisé par le Décret D/2002/48/PRG SGG du 15 mai 2002, promulguant la Loi constitutionnelle adoptée par référendum du 11 novembre 2001, consacre une présidence à vie de facto avec un mandat de 7 ans renouvelable à l’infini pour le PR face à une Assemblée nationale qui demeure une chambre d’enregistrement.

2°) Le décret du 01 février 2007 ou l'échec d'un rééquilibrage des pouvoirs
Le décret du 01 février 2007 tentera en vain un rééquilibrage des pouvoirs au sein du pouvoir exécutif au profit du PM dit de consensus Lansana Kouyaté suite aux douloureux événements de Janvier-Février 2007. Mais le PR Lansana Conté préservera l’essentiel de ses pouvoirs institutionnels, politiques et militaires dans les textes et dans la pratique.

3°) La Constitution du 07 MAI 2010 : l’enfant illégitime de la République
Cette Constitution n'était pas prévue dans les dispositions de l’accord tripartite de Ouagadougou du 15 janvier 2010 avec ses 12 points qui avaient prévu notamment un chronogramme électoral et un organe de contrôle de l’évolution de la transition qui n’a jamais vu le jour.
En novembre 1993, dans un article paru dans le journal « SILATIGUI » de Ibrahima Baba KAKE intitulé « L’introuvable démocratie », je disais que la « La Guinée est un non-Etat engoncé dans du non-droit où tout est possible et imaginable ». L’histoire m’a malheureusement donné raison au regard des conditions ubuesques d'adoption de cette Loi fondamentale : par un décret présidentiel adopté par le Conseil national de Transition (CNT) à la composition et à l'indépendance tant décriées. Le choix du référendum aurait été plus judicieux.
Au final, les rapports de force au sein du pouvoir exécutif et par rapport aux autres institutions de l’Etat demeurent inchangés au profit d'un PR « sacralisé ».

4°) Les pouvoirs exorbitants d'un Président « sacralisé »
Malgré la limitation de son mandat à 5 ans, renouvelable une fois (Art. 27), le Président de la République (PR) dispose de prérogatives exorbitantes (Art. 45 à 51).
Le PR est le chef de l'État, préside le Conseil des ministres, détermine et contrôle la conduite de la politique de la Nation (Art. 45) ; dispose du pouvoir réglementaire qu'il exerce par décret ; fixe par décret les attributions de chaque ministre, nomme aux emplois civils (Art. 46) ; préside le Conseil supérieur de la défense nationale, est le chef des armées et nomme à tous les emplois militaires (Art. 47) ; exerce le droit discrétionnaire de grâce (Art. 49) ; peut soumettre à référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, etc. (Art. 51) ; décrète (Art. 90) l'état de siège ; déclare (Art. 91) l'état de guerre; nomme le médiateur de la République (Art. 129) ; négocie et ratifie les engagements internationaux (Art. 112) ; préside le Conseil supérieur de la magistrature dont le ministre de la justice est le vice-président ; l'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au PR et aux députés (Art. 152).
Seule la Haute Cour de justice est compétente pour juger les actes accomplis dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions en cas de haute trahison (Art. 118), par exemple s'il a violé son serment (Art. 119).

5°) Un Premier ministre collaborateur-exécutant et sans relief
Le Premier ministre (PM) est le « Primus inter pares », le premier des ministres, le chef du Gouvernement qui tire sa légitimité d'un PR élu qui le nomme et le révoque selon son bon vouloir malgré certaines prérogatives : il est chargé de diriger, de contrôler, de coordonner et d'impulser l'action du Gouvernement (Art. 52) mais est responsable devant le PR (Art. 53, alinéa 3) ; il dispose de l'administration, nomme à tous les emplois civils et dispose du pouvoir réglementaire, sous réserve des dispositions des articles 46 et 49 (Art. 58).
En somme, le PR et le PM forment un tandem avec le PR au guidon, aux manettes.

6°) Une assemblée nationale introuvable face à un Président prépondérant
La Guinée est dans une période transitoire depuis la mort de Lansana Conté en décembre 2008. Elle est régie, régentée par des décrets présidentiels et du fait du report continu des élections législatives qui auraient dû se dérouler au mois de juin 2O11, le Conseil national de Transition (CNT) fait office d'assemblée nationale (AN).
Cette dernière est-elle utile ? Alpha Condé, le PR actuel, n'a-t-il pas déclaré « qu'il peut gouverner sans l'assemblée nationale » ?
Selon les dispositions de la Constitution du 07 mai 2010, sous réserve des dispositions de l'article 51, l'Assemblée nationale (AN) vote seule la loi et contrôle l'action gouvernementale (Art. 72), vote le budget en équilibre (Art. 75), dispose de 60 jours au plus pour voter la loi de finances (Art. 76) ; dans les 8 jours francs qui suivent l'adoption d'une loi, le PR, un dixième au moins des députés ou l'Institution Nationale Indépendante des Droits Humains peuvent saisir la Cour constitutionnelle d'un recours visant à faire contrôler la conformité de la loi à la Constitution (Art. 80).
L'AN peut habiliter par une loi le PR à prendre des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi, pour un délai donné et des objectifs qu'elle précise. Dans les limites de temps et de compétences fixées par la loi d'habilitation, le PR prend des ordonnances (Art. 82).
L'initiative des lois appartient concurremment au PR et aux députés à l'AN (Art. 84) qui ont, tous les deux, le droit d'amendement (Art. 85).
L'AN établit son ordre du jour. Toutefois, le PR peut demander l'inscription, par priorité, à l'ordre du jour, d'un projet ou d'une proposition de loi ou d'une déclaration de politique générale. Cette inscription est de droit (Art. 87).
En cas de désaccord persistant entre le PR et l'AN sur des questions fondamentales, le PR peut, après avoir consulté le président de l'Assemblée nationale, prononcer la dissolution de celle-ci (Art. 92, alinéa 1). Alors que l'AN ne dispose pas de motion de censure, de moyens de pression à l'encontre du gouvernement qui n'est responsable que devant le PR.
A la lecture des compétences respectives précitées, il en ressort indéniablement une prééminence, une prépondérance du PR, chef du pouvoir exécutif, sur l'AN qui est pourtant une émanation de la souveraineté populaire.

III) De la nécessité d'un renforcement des contre-pouvoirs
au pouvoir exécutif hypertrophié
 « Le pouvoir ne sert que si l'on en use. Les contre-pouvoirs, eux, ne servent que s’ils usent de leur pouvoir de contrer ! ».
 Les contre-pouvoirs sont des garde-fous qui assurent la respiration d’un système démocratique, permettent le contrôle régulier des organes investis d’un pouvoir et assurent que ceux-ci n’empiéteront pas les uns les autres sur leurs compétences respectives. Les contre-pouvoirs sont donc vitaux, fondamentaux pour le bon exercice de la démocratie. Ils doivent être institutionnalisés. C’est la seule manière de garantir le non abus de pouvoir.
L’un des principaux défis que doit surmonter l’Afrique et la Guinée, sur la voie de la bonne gouvernance, tient à l’urgente nécessité de trouver les moyens de limiter efficacement le pouvoir discrétionnaire, tentaculaire du pouvoir exécutif.
La vitalité d’une démocratie se juge à l’aune de ses contre-pouvoirs, à la progression et l’élargissement du champ de la représentation politique, à la gestion rigoureuse des fonds publics et, surtout, au cercle vertueux créé entre l’armée et la classe politique. L'armée et les forces de sécurité demeurant la plaie béante, le cancer qui s'est métastasé sur le continent noir.
Si le pouvoir principal s'incarne par les pouvoir politique et financier, le principe du contre-pouvoir est de modérer l'influence de ceux-ci.
L'état d'une société est fortement lié à la vigueur des contre-pouvoirs. Qu'ils disparaissent ou s'affaiblissent et le pouvoir principal s'en retrouve hypertrophié, omnipotent. D’où la nécessité du renforcement :
- du pluralisme, de l’accessibilité et de l’indépendance des médias d’Etat ;
- des droits de l’opposition avec un statut particulier ; s’il n’y a pas de concurrence politique, ni de concurrence économique tous les contrepouvoirs seraient récupérés, inefficaces. L’âme même de la démocratie, c’est qu’il puisse y avoir la concurrence et une alternance régénératrice comme au Sénégal, un pays limitrophe
- des moyens financiers et matériels d’investigation et de sanction au profit de la Cour des comptes, du pouvoir judiciaire
- du parlement qui est une émanation de la souveraineté populaire au même titre que le PR, est le contre-pouvoir naturel, par excellence du pouvoir exécutif, l’organe de contrôle et de proposition, de « co-production législative ». Il ne doit pas être docile, monolithique, une simple chambre d’enregistrement qui tort le coup à la constitution pour entériner, légitimer des « présidents à vie » ;
- de la décentralisation, un mécanisme qui renforce la participation des populations et leur contrôle sur le pouvoir à l’échelon local ;
- de La société civile qui joue un rôle déterminant de contre-pouvoir, notamment lors des mouvements sociaux en 2006 et janvier-février 2007. D'où l'urgente nécessité des candidatures indépendantes, de la fin du monopole de représentation aux élections nationales par les seuls partis politiques (Art. 29, alinéa 2 et 61, alinéa 1) ;
- de la pratique de la dite séparation des pouvoirs qui conduit à distinguer au sein du système global de pouvoir plusieurs entités en situation de contre-pouvoir mutuel [cf. « Trias Politica » de Montesquieu (1689-1755) et John Locke (1632-1704)].

CONCLUSION : Une constitution, comme toute norme juridique n'est pas neutre politiquement, ni idéologiquement. Et le contexte dans lequel elle a été adopté est à considérer également ; comme ce fut le cas de celle du 07 mai 2010.
Elle doit servir à réaménager notre espace institutionnel avec l'élaboration et l'acceptation de nouvelles règles du jeu politique par toutes les forces vives de la nation sans exclusive.
Cependant, la finalité d'une constitution est le développement socio-économique harmonieux, l'instauration d'un Etat de droit, d'un rééquilibrage entre les différents pouvoirs et institutions de la République, d'une bonne gouvernance, d'un dialogue sincère et constant entre les différents acteurs de la vie publique et de la société.
Par ailleurs, les institutions ne valent que par les hommes et femmes qui les animent.
L’un des principaux défis que doit surmonter l’Afrique et la Guinée, sur la voie de la bonne gouvernance, tient à l’urgente nécessité de trouver les moyens de limiter efficacement le pouvoir discrétionnaire, tentaculaire de l’exécutif.
Ceci étant la condition sine quo none, indispensable pour le développement socio-économique de la Guinée qui est notre point d'ancrage où nos destins sont entrelacés.
Que Dieu préserve la Guinée !

Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH
Juriste et anthropologue guinéen
nabbie_soumah@yahoo.fr
Paris, le 02 février 2013

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