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- Guinée| Il faut (encore une fois) sauver les élections
Posted by : Palabre-Infos
8 oct. 2013
Le
28 septembre, les Guinéens ont voté dans le calme pour élire leurs députés.
Dans la capitale Conakry au moins, la participation paraissait significative.
Parfois dès six heures du matin, les gens se pressaient pour voter, patientant
dans de longues queues.
Face à des problèmes organisationnels considérables et
dans des conditions matérielles difficiles, membres des bureaux de vote et
délégués des partis se débattaient et débattaient avec gravité et sérieux, le
code électoral à la main. En ville sans doute plus que dans les campagnes, et à
Conakry sans doute plus que dans les régions, observateurs nationaux et
internationaux, experts électoraux et journalistes ont pu relayer les multiples
problèmes au fil de la journée, et bien des conflits ont pu être ainsi
désamorcés. Au soir du scrutin, la fierté et le soulagement étaient palpables.
Mais
plus d’une semaine plus tard, la totalité des résultats officiels n’a toujours
pas été publiée. Cette longue attente alimente les accusations de fraude
formulées explicitement par l’opposition. La tension monte. Des incidents
mineurs ont éclaté en certains endroits, comme à Fria. Le dispositif
sécuritaire est en cours de renforcement à Conakry. Des commerçants ferment
boutique et évacuent leurs stocks. Des citadins seraient en train de s’équiper
pour se défendre en cas de troubles. Pour sa part, le régime met en avant sa
crainte d’un coup d’Etat associant opposants, militaires et intérêts miniers
dans un pays dont les ressources naturelles suscitent la convoitise. Selon des
défenseurs des droits de l’homme, des civils et des militaires mais aussi des
ressortissants étrangers ont été arrêtés à Conakry ces dernières semaines et
transférés et interrogés à Kankan et Kassa – certains ont été libérés depuis.
On le voit bien : l’enjeu n’est plus seulement la crédibilité du processus
électoral mais la sauvegarde de la paix et de la stabilité.
Les
Guinéens n’avaient pas voté pour des législatives depuis 2002. Prévu en 2007,
le renouvellement de l’Assemblée nationale n’avait pu avoir lieu : le pays
était entré dans un cycle de crises qui n’a pris fin qu’avec l’élection du
président Alpha Condé en décembre 2010. Mais le scrutin présidentiel de 2010 a
été marqué par une vive controverse sur le dispositif électoral, et la Guinée a
semblé prise depuis dans un véritable bourbier électoral, analysé dans notre
dernier rapport
sur la Guinée, publié en février 2013. Il aura fallu près de trois années,
marquées par des manifestations et des violences, pour aboutir à un accord
minimum sur l’organisation des élections législatives. La tenue de ce scrutin
est donc une étape importante pour un pays qui sort de plus de cinq décennies
d’autoritarisme.
Mais
les résultats, d'abord annoncés par la Commission électorale nationale
indépendante (CENI) pour le 2 octobre, ne sont sortis qu'au compte-gouttes. La
suspension rapide ou le silence des canaux alternatifs de diffusion des
résultats locaux, radios privées et structures de la société civile, suspension
qui semble en partie liée aux pressions du pouvoir, ne rassure pas. Le 30
septembre, les chefs de l'opposition ont annoncé qu'au terme de leur propre
décompte, ils savaient avoir gagné l'ensemble des cinq communes de Conakry et
qu'ils n'accepteraient pas d'autre résultat. Le 3 octobre, ils ont annoncé que
leurs représentants se retiraient de la commission nationale de centralisation
des votes, et ils ont réclamé le lendemain l'annulation du scrutin, soulignant
qu'ils se réservaient la possibilité de recourir à toutes les formes légales de
protestation.
Depuis
la demande d'annulation du scrutin formulée par l'opposition, plusieurs
résultats favorables à celle-ci ont été publiés, y compris pour certaines
communes très disputées à Conakry. Manque encore cependant Kaloum, le centre
historique et symbolique de la capitale, qui accueille la présidence de la
République. Le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies,
Saïd Djinnit, qui avait facilité les négociations sur l'organisation du
scrutin, est arrivé à Conakry et des consultations ont été engagées.
L'opposition y participe, mais elle n'est pas encore revenue sur sa demande
d'annulation du scrutin. Elle reste très méfiante.
Il
faut bien admettre que de nombreux problèmes ont été observés tout le long du
processus, de la présence de mineurs sur les listes électorales à la
distribution inégale ou insuffisante de matériel électoral. Si les missions
d'observateurs à court terme (Communauté économique des Etats de l'Afrique de
l'Ouest, Union africaine, Francophonie) ont, selon la formule rituelle,
souligné que ces problèmes ne remettaient pas en cause la sincérité du scrutin,
la puissante mission d'observation de l'Union européenne, déployée bien avant
le scrutin et profitant du rôle central de l'UE dans l'assistance électorale et
dans les négociations, a été beaucoup plus prudente dans son communiqué
préliminaire du 30 septembre quant à la qualité du scrutin. Informellement, une
bonne part des experts électoraux internationaux impliqués considèrent que la
fragilité institutionnelle n'explique pas tous les problèmes et s'interrogent
sur la bonne foi du pouvoir, de la direction de la CENI et des autorités
locales. Rencontré peu avant le scrutin, un haut responsable du parti du
président Condé justifiait ainsi sa confiance en la victoire : « dans les
régions [c'est-à-dire en dehors de Conakry], les préfets et les sous-préfets
sont comme des rois ».
L'opposition
n'a pour sa part pas eu besoin des réserves des observateurs européens pour se
persuader que ces défaillances sont délibérées, organisées par un dispositif
électoral qu'elle estime contrôlé par le pouvoir. Elle considère que son
électorat a été soigneusement érodé, son inscription sur les listes et sa
participation découragées de mille manières. Elle soupçonne également que le
pouvoir entend se saisir des fragilités organisées de procédure pour faire
annuler le vote dans les bureaux qui lui sont favorables. Enfin, elle maintient
avoir connaissance de fraudes plus directes durant et après le scrutin, urnes
remplacées ou bureaux de vote parallèles.
Comment sauver, une fois encore, les élections en Guinée, et la prémunir de nouvelles violences ?
Comment sauver, une fois encore, les élections en Guinée, et la prémunir de nouvelles violences ?
Le
risque de violence est réel. Dans un pays où les votes sont largement
déterminés par les affiliations ethniques, où chacun peut faire recours au
récit de victimisation de sa communauté, un minimum de confiance dans les
institutions électorales est particulièrement nécessaire pour apaiser les
tensions communautaires. Entre rancœurs éthno-communautaires et tradition de
pouvoir militaire, de nouveaux troubles pourraient déboucher sur une
catastrophe.
En
Guinée, le droit et les procédures ne sont malheureusement toujours pas en
mesure de fournir un cadre autonome de règlement des litiges. En effet, ce
n'est pas un véritable accord de fond sur les règles qui a permis d'aller aux
élections, mais plutôt un long cheminement marqué par des protestations et des
violences qui ont fait plusieurs dizaines de morts (essentiellement parmi les
partisans de l'opposition) et qui ont suscité une implication internationale forte.
Car c'est bien la pression des partenaires internationaux, France, Etats-Unis,
Union européenne, Nations unies, qui a permis la tenue de l'élection. S'ils
n'ont pas assuré une certification du scrutin sur le modèle ivoirien, ces
acteurs avaient assuré à l'opposition la mise en œuvre d'un certain nombre de
révisions et de procédures de sécurisation du dispositif électoral. Ces
engagements n'ont malheureusement pu être mis en œuvre que très partiellement,
comme l'a souligné la mission de l'UE.
A
très court terme, pour faire baisser la tension, il est important, comme la
mission européenne l'a suggéré, que la CENI publie rapidement et de façon
organisée les résultats des 12 000 bureaux de vote, en commençant par les
circonscriptions litigieuses. Ce sont en effet de ces résultats locaux mais
sans validation officielle, que les opposants ont connaissance, et non des
résultats centralisés par circonscription. Grâce aux résultats annoncés ou
recensés par les radios privées et la société civile, aux copies des procès-verbaux
remises aux partis politiques et à l'affichage, il existe des sources variées
qui peuvent aider à clarifier la situation. Il faut au minimum que chacun,
parmi ceux qui ont pu voter, puisse se convaincre que sa voix est bien prise en
compte, que c'est bien sur la base des suffrages exprimés par les électeurs
dans chaque bureau de vote que la CENI établit le résultat dans chaque
circonscription.
A
moyen terme, pour trancher les cas litigieux, il est difficile de compter
seulement sur une CENI tenue pour partisane par l'opposition. Il n'est pas
beaucoup plus simple de s'en tenir à la seule justice électorale, très
contestée lors du scrutin de 2010. La CENI doit donc travailler en lien étroit
avec la facilitation internationale et le comité de suivi où sont représentés
les principaux acteurs et les partenaires internationaux, structures qui
constituent (malheureusement) le fondement réel du processus électoral en cours
: c'est dans ce cadre que doivent se clarifier les principes selon lesquels traiter
des cas litigieux. L'exclusion, comme lors de l'élection présidentielle de
2010, de centaines de milliers de votes sur des points de forme, n'est pas
acceptable pour la démocratie guinéenne en construction.
Exceptionnellement,
il ne faut pas exclure, s'il s'avérait impossible d'avoir des résultats
consolidés et acceptés dans certaines circonscriptions, d'y reprendre le
scrutin. Il s'agit là d'apporter de vraies réponses aux interrogations des
citoyens guinéens. Un replâtrage hâtif, comme celui qui avait été opéré autour
du scrutin de 2010, ne fera que rendre plus difficile et risquée l'élection
présidentielle de 2015, vers laquelle tous les acteurs guinéens regardent déjà.
Il est encore temps de faire des législatives de 2013 une étape dans la
consolidation des institutions électorales guinéennes plutôt qu'un nouveau
moment de crise.
Source: International Crisis group