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- YAGUINE ET FODE : le 12è anniversaire d'une tragédie de l'enfance
Posted by : Palabre-Infos
5 août 2011
Yaguine Koita et Fodé Tounkara |
Yaguine Koïta (né le 25 septembre 1984) et Fodé Tounkara (né le 6 avril 1985) furent le 28 Juillet 1999 les passagers clandestins du vol 520 Sabena Airlines en provenance de Conakry (Guinée ) et à destination de Bruxelles (Belgique). Leurs corps morts de froid furent découverts le 2 août 1999 dans le train d'atterrissage arrière droit de l'appareil à l'aéroport international de Bruxelles. Dans leurs affaires, les garçons transportaient dans des sacs plastiques leurs certificats de naissance, leurs cartes de scolarité, des photos et une lettre. Cette lettre fut largement publiée dans les medias du monde entier...
Cette année, nous commémorons le douzième anniversaire de cette tragédie de l’enfance et de la jeunesse du pays. Une décennie après, il est loisible de constater que nos autorités n’ont pas fait grand-chose, afin que l’ultime sacrifice de Yaguine et Fodé ne soit vain. C’est plutôt en Belgique que nos compatriotes sont actifs. A Bruxelles, une dizaine d’association a vu le jour. Et chaque année, à la date anniversaire de la disparition des adolescents, des activités sont organisées pour perpétuer leur mémoire..
Au sujet de ce triste anniversaire, un collectif d’associations de nos compatriotes vivant à l’étranger a produit une réflexion poignante, que nous reproduisons in extenso :
« C’est à votre solidarité et votre gentillesse que nous vous appelons … », écrivaient les adolescents défunts. A bien observer, au bout de ces 12 ans, cette solidarité et cette gentillesse sont loin d’être une réalité vis-à-vis de l’Afrique et des enfants africains.
La liste des problèmes que déclinent Yaguine et Fodé – guerres, malnutrition, maladies, manque d’éducation, inégalité des revenus… - atteste de la clairvoyance avec laquelle ils avaient préparé leur message et leur voyage.
Ils restent lucides en proposant des solutions. « Donc si vous voyez que nous exposons notre vie, c’est parce que […] Nous voulons étudier…» . Il y a ici, loin d’être une supplication puérile, un appel authentique garanti par une prise de responsabilité courageuse. Comme garantie de leur fiabilité, comme apport propre, Yaguine et Fodé, en exposant sciemment leur vie et en s’adressant au nom de tous les jeunes d’Afrique aux dirigeants et citoyens de l’Europe toute entière, ont mis sur la table les prémisses de la solution, à savoir la création « d’une grande organisation » qui s’occuperait réellement de leurs problèmes et garantirait une approche intercontinentale de leurs problèmes, seule capable de leur apporter des solutions durables.
Bien qu’ils n’aient pas été spécialement ciblés par le message de Yaguine et Fodé, les dirigeants africains sont tout aussi responsables des drames que vivent leurs peuples lors de ces émigrations périlleuses. La passivité de ces dirigeants constitue un mépris total de l’acte héroïque des deux jeunes et un abandon de leur responsabilité de dirigeants.
Hélas, 12 ans plus tard, le sacrifice de Yaguine et Fodé n’a suscité de réponse qu’au sein de la société civile où quelques organisations se sont appropriées le Message en le prenant comme base de leur action et en le diffusant le plus largement possible. Quelques artistes se sont aussi inspirés de ce drame et ont produit des créations esthétiques qui ont contribué à le faire connaître au grand public. Mais la réponse concrète de la part de ces « Messieurs et responsables d’Europe » et d’Afrique d’ailleurs, pour que le droit fondamental à une éducation de qualité soit respecté reste pour ainsi dire inexistante.
Faut-il rappeler ici que l’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les articles 28 et 29 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, accordent à tous les jeunes le droit à une éducation de base gratuite et obligatoire.
Or, on note que les pays donateurs ne consacrent toujours que 10% de leur aide à l’éducation, pourtant reconnue comme le pilier du développement économique équitable et durable. Les pays africains n’affectent en moyenne que 5% de leur budget public à l’éducation contre 14% aux dépenses militaires et de sécurité. Selon le dernier rapport de l’UNESCO, l’Afrique est le seul continent où le nombre de jeunes illettrés continue d’augmenter de sorte qu’il reste plus de 70 millions d’enfants et jeunes non scolarisés, sans compter les millions de jeunes domestiques, enfants dits « sorciers », esclaves ou des rues, etc.…qui ne figurent pas dans les registres nationaux. En plus, de nombreux observateurs indépendants estiment que la qualité de l’enseignement est en baisse généralisée en Afrique.
Quoi de plus étonnant donc qu’à l’instar de Yaguine et Fodé, de nombreux jeunes Africains essaient encore aujourd’hui de faire valoir leur droit fondamental à une éducation de qualité en risquant leur vie pour essayer de venir étudier en Europe. En cela, ils s’appuient aussi sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme à savoir : « Article 14 : 1. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays…. » et « Article 15 : 1. Tout individu a droit à une nationalité. 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité. »
Ce 12 ème anniversaire de la mort de Yaguine et Fodé doit être l’occasion pour les peuples africains et européens d’exiger l’instauration d’un nouveau partenariat Afrique/Europe gagnant gagnant, centré sur le respect des droits fondamentaux de tous les jeunes Africains à l’éducation, la santé, leurs libertés individuelles et une reconnaissance de faire valoir ces droits idéalement chez eux mais alternativement ici en Europe.
Que deux jeunes Africains aient su exprimer de façon aussi poignante leur prise de conscience de leurs droits fondamentaux et aient été prêts à sacrifier leur vie pour les faire respecter nous impose le respect et constitue pour nous, les membres de la société civile une source de courage pour rester mobilisés. ..»
Le devoir de mémoire nous commande de faire en sorte que le sacrifice suprême de Yaguine et Fodé serve bien à quelque chose.
SOURCE : www.conakryonline.com