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Posted by : Palabre-Infos 27 oct. 2011


Regards extrêmes

Jusqu'à hier en début de soirée, le verdict final du scrutin n'était toujours pas connu mais au vu des résultats partiels distillés depuis 48 heures, il n'y avait plus de place pour le doute : Ennahda est sorti vainqueur des élections tunisiennes du dimanche 23 octobre 2011 pour la formation de la Constituante, le collège d’élus qui doit non seulement plancher sur la loi fondamentale mais aussi former le gouvernement provisoire.

Il n’aura certes qu’une majorité relative et non absolue dans la future Assemblée, mais c’est en soi une performance remarquable, quoique prévisible, tant de nombreux analystes avaient subodoré un tel phénomène. Il lui faudra sans doute pactiser avec d’autres entités pour que le rapport de force penche en faveur de ses idéaux, mais rien ne pourra l’empêcher de jouer les premiers rôles dans la Tunisie de demain.
Que cela se soit opéré au prix d’un lifting du parti islamiste et d’engagements feints ou sincères sur le statut de la femme et d’autres acquis des années Bourguiba et Ben Ali pour polir les aspérités et ne pas effrayer les laïcs ainsi que la communauté internationale, quitte à s’asseoir sur sa parole une fois le pouvoir conquis, quoi de plus commun à l’arène politique, où les promesses électorales n’engagent, c'est bien connu, que ceux qui ont la naïveté d’y croire ? Encore que, sauf à vouloir se tirer une balle dans le pied, on ne voit pas trop comment la Tunisie, qui vit essentiellement du tourisme, pourrait faire fuir les visiteurs par un quelconque rigorisme religieux.
Aujourd'hui donc  le Parti de la renaissance en Tunisie, demain ce sera peut-être le tour des Frères musulmans de dicter leur loi (islamique ?) dans l’Egypte post-Moubarak, en attendant, qui sait, leurs compères de Libye, où le président du Conseil national de transition (CNT), tout transitoire qu’il est, a d’ores et déjà promis la polygamie, l’interdiction du divorce, la finance islamique, bref, la charia (et pourquoi pas le djihad pendant qu'on y est) à ses compatriotes, à peine libérés du joug de Kadhafi et auxquels on destine, sitôt affranchis, d’autres fers.
On peut comprendre l’émoi que suscitent ces événements dans l’opinion publique internationale, abreuvée à l’envi de clichés, de préjugés, de schémas figés et de prismes réducteurs par les médias occidentaux et leurs "experts" à la petite semaine qui hantent les plateaux de télévision. Il est vrai que le 11-Septembre est passé par là et que, sous chaque barbe abondante, on croit dénicher une mèche d’explosif.
Il est tout aussi vrai que les barbus ressemblent souvent à ces gens qui, après avoir utilisé une échelle pour arriver au sommet, s’empressent de l’enlever pour qu’un autre ne puisse la gravir de nouveau  ; et ce faisant, ils pourraient exploiter la liberté pour tuer la liberté. Un peu à l’image d’un Hitler dont on oublie parfois qu’il est arrivé aux affaires par les urnes avant de devenir la peste aryenne qu’on sait
Mais si c’est le plus démocratiquement du monde que les peuples quittent la férule des despotes pour se jeter dans les bras des islamistes, qu’y peut-on ? Ce sont les risques du suffrage universel. Tout bien pensé, les Occidentaux ressemblent quelquefois à ceux qui veulent courir tout en se grattant le postérieur, deux choses évidemment inconciliables : on veut bien offrir la démocratie aux peuples opprimés, dût-on le faire à coups de missiles, pourvu que ce soit nos amis qui gouvernent.
En fait, plutôt que de s'époumoner sur le péril islamiste en agitant l'épouvantail terroriste et liberticide, l’on devrait se poser la question suivante à un dinar tunisien ou à une livre égyptienne : par quel divin miracle, des partis estampillés croissant lunaire, interdits pendant des décennies ou tout juste tolérés,  dont les militants, on devrait dire les fidèles, sont souvent exilés, embastillés et martyrisés avec la bienveillante complicité de Paris, de Londres ou de Washington, comment diantre réussissent-ils le tour de force de coiffer au poteau de vieilles formations politiques qui, à leur décharge, n’ont jamais vraiment participé à un scrutin sincère, et donc ne connaissent pas réellement leur poids électoral ?
Car le succès des «partis de Dieu» sonne comme un désaveu cinglant des organisations traditionnelles et des Etats incapables de répondre concrètement aux préoccupations qui assaillent quotidiennement les populations, notamment dans les secteurs sociaux de base (santé, éducation, alimentation, logement). Un terreau fertile dans lequel les islamistes, par charité musulmane ou par calculs politiciens, sèment, en espérant récolter un jour les dividendes.
Hier c’était le Hamas dans les territoires occupés, aujourd’hui, c’est Ennahda. Ajoutez à cet investissement social des leaders souvent charismatiques à l’image de Rached Ganouchi ou du cheikh Ahmed Yassin il y a quelques années, et l’on comprendra que la prospérité politique de ces gens n’a rien de surprenant ni de fortuit.
Toutes proportions gardées d'ailleurs, et la violence en moins, c’est un peu le pendant oriental des partis d’extrême droite, souvent racistes et xénophobes qui prolifèrent et progressent en Europe, qui rêvent de la  «pureté» religieuse et culturelle du vieux continent, envahi par les hordes de barbares aux odeurs et aux mœurs bizarres.
Après la secousse tellurique du 21 avril 2002 quand Jean-Marie Le Pen, le leader du Front national, s'était qualifié pour le tour de la présidentielle française avec 17% des voix, la France ne tremble-t-elle pas de nouveau à l’idée que la fille, puisse rééditer l'année prochaine l’exploit du père et qu'une vague bleue Marine déferle sur l'Hexagone ? A chacun donc ses affreux.
Source: lobservateur

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