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- ZOOM SUR| Thomas Sankara: ce qu'il pensait de l'Afrique et de sa dette
Posted by : Palabre-Infos
17 nov. 2011
A quelque mois avant sa mort, Thomas Sankara a tenu un discours le 29 Juillet 1987 où il parle de l'union africaine, de la dette des pays africains. Thomas Sankara né le 21 Décembre 1949, incarna et dirigea la révolution burkinabé du 4 août 1983 jusqu'à son assassinat lors d'un coup d'État qui amena au pouvoir Blaise Compaoré, le 15 octobre 1987.
Au sujet du fonctionnement de l’OUA.
C’est pourquoi je voudrais proposer, Monsieur le
président, que nous établissions un barème de sanctions pour les chefs
d’États qui ne répondent pas présents à l’appel. Faisons en sorte que
par un ensemble de points de bonne conduite, ceux qui viennent
régulièrement, comme nous par exemple, (rires de l’assistance et regard
sage de Yasser Arafat) puissent être soutenus dans certains de leurs
efforts.
Exemple : les projets que nous soumettons à la BAD, la Banque africaine
de développement doivent être affectés d’un coefficient d’africanité
(applaudissements). Les moins africains seront pénalisés. Comme cela
tout le monde viendra aux réunions ici...
Au sujet de la dette des pays africains
Nous estimons que la dette s’analyse d’abord de par ses origines. Les origines de la dette remontent aux origines du colonialisme .
Ceux qui nous ont prêté de l’argent, ce sont ceux-là qui nous ont
colonisés. Ce sont les mêmes qui géraient les États et les économies. Ce
sont les colonisateurs qui endettaient l’Afrique auprès des bailleurs
de fonds, leurs frères et cousins (regards approbateurs de Kenneth
Kaunda et attentifs de Samora Machel).
Nous étions étrangers à cette dette, nous ne pouvons donc pas la payer.
La dette, c’est encore les néocolonialistes ou les
colonisateurs qui se sont transformés en assistants techniques. En fait,
nous devrions dire qui se sont transformés en assassins techniques. Et
ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement, des
bailleurs de fonds, un terme que l’on emploie chaque jour comme s’il y
avait des hommes dont le bâillement suffisait à créer le développement
chez d’autres. Ces bailleurs de fonds nous ont été conseillés,
recommandés. On nous a présenté des montages financiers alléchants, des
dossiers. Nous nous sommes endettés pour cinquante ans, soixante ans et
même plus. C’est-à-dire que l’on nous a amenés à compromettre nos
peuples pendant cinquante ans et plus.
Mais la dette, sous sa forme actuelle, contrôlée et
dominée par l’impérialisme, est une reconquête savamment organisée, pour
que l’Afrique, sa croissance et son développement obéissent à des
paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangères, faisant en
sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire
l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la
fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser.
On nous dit de rembourser la dette. Ce n’est pas une question morale,
ce n’est point une question de ce prétendu honneur que de rembourser ou
de ne pas rembourser.
Monsieur le président, nous avons écouté et applaudi le
premier ministre de Norvège lorsqu’elle est intervenue ici même. Elle a
dit, elle qui est européenne, que toute la dette ne peut pas être
remboursée. Je voudrais simplement la compléter et dire que la dette ne
peut pas être remboursée. La dette ne peut pas être remboursée parce que
d’abord si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas.
Soyons-en sûrs. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir.
Soyons-en sûrs également.
Ceux qui nous ont amenés...ceux qui nous ont conduits à
l’endettement ont joué comme dans un casino. Tant qu’ils gagnaient, il
n’y avait point de débat. Maintenant qu’ils ont perdu au jeu, ils nous
exigent le remboursement. Et on parle de crise. Non, Monsieur le
président, ils ont joué, ils ont perdu, c’est la règle du jeu. Et la vie
continue. (Applaudissements)
Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous n’avons pas de quoi payer. Nous
ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous ne sommes pas
responsables de la dette. Nous ne pouvons pas payer la dette parce qu’au
contraire les autres nous doivent ce que les plus grandes richesses ne
pourront jamais payer, c’est-à-dire la dette de sang. C’est notre sang
qui a été versé.
On parle du Plan Marshall qui a refait l’Europe
économique. Mais l’on ne parle pas du Plan africain qui a permis à
l’Europe de faire face aux hordes hitlériennes lorsque leurs économies
étaient menacées, leurs stabilités étaient menacées.
Qui a sauvé l’Europe ? C’est l’Afrique.
On en parle très peu. On en parle si peu que nous ne pouvons, nous, être complices de ce silence ingrat. Si les autres ne peuvent pas chanter nos louanges, nous en avons au moins le devoir de dire que nos pères furent courageux et que nos anciens combattants ont sauvé l’Europe et finalement ont permis au monde de se débarrasser du nazisme.
La dette, c’est aussi la conséquence des affrontements.
Et lorsque on nous parle aujourd’hui de crise économique, on oublie de
nous dire que la crise n’est pas venue de façon subite. La crise existe
de tout temps et elle ira en s’aggravant chaque fois que les masses
populaires seront de plus en plus conscientes de leurs droits face aux
exploiteurs. Il y a crise aujourd’hui parce que les masses refusent que
les richesses soient concentrées entre les mains de quelques individus. Il
y a crise parce que quelques individus déposent dans des banques à
l’étranger des sommes colossales qui suffiraient à développer l’Afrique.
Il y a crise parce que face à ces richesses individuelles que l’on peut
nommer, les masses populaires refusent de vivre dans les ghettos et
dans les bas quartiers. Il y a crise parce que les peuples partout
refusent d’être dans Soweto face à Johannesburg. Il y a donc lutte et
l’exacerbation de cette lutte amène les tenants du pouvoir financier à
s’inquiéter.
On nous demande aujourd’hui d’être complices de la
recherche d’un équilibre. Équilibre en faveur des tenants du pouvoir
financier. Équilibre au détriment de nos masses populaires. Non ! Nous
ne pouvons pas être complices. Non ;
nous ne pouvons pas accompagner ceux qui sucent le sang de nos peuples
et qui vivent de la sueur de nos peuples. Nous ne pouvons pas les
accompagner dans leurs démarches assassines.
Monsieur le président : Nous entendons parler de clubs,
club de Rome, club de Paris, club de Partout. Nous entendons parler du
groupe des cinq, des sept, du groupe des dix, peut-être du groupe des
cent, que sais-je encore ? Il est normal que nous créons notre club et
notre groupe. Faisons en sorte que dès aujourd’hui Addis-Abeba devienne
également le siège, le centre d’ou partira le souffle nouveau : Le Club
d’Addis-Abeba.
Nous avons le devoir aujourd’hui de créer le front uni
du Club d’Addis-Abeba contre la dette. Ce n’est que de cette façon que
nous pourrons dire aux autres, qu’en refusant de payer, nous ne venons
pas dans une démarche belliqueuse mais au contraire dans une démarche
fraternelle pour dire ce qui est. Du reste les masses populaires en
Europe ne sont pas opposées aux masses populaires en Afrique. Mais Ceux
qui veulent exploiter l’Afrique sont les mêmes qui exploitent l’Europe.
Nous avons un ennemi commun. Donc notre club parti d’Addis-Abeba devra
également dire aux uns et aux autres que la dette ne saura être payée.
Quand nous disons que la dette ne saurait être payée ce n’est point que
nous sommes contre la morale, la dignité, le respect de la parole. Nous
estimons que nous n’avons pas la même morale que les autres. Entre le
riche et le pauvre, il n’y a pas la même morale.
La Bible, le Coran, ne peuvent pas servir de la même manière celui qui exploite le peuple et celui qui est exploité.
Il faudra qu’il y ait deux éditions de la Bible et deux éditions du
Coran. (Applaudissements) Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous
parle de dignité. Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous parle du
mérite de ceux qui paient et de perte de confiance vis-à-vis de ceux qui
ne paieraient pas. Nous devons au contraire dire que c’est normal
aujourd’hui. Nous devons au contraire reconnaître que les plus grands voleurs sont les plus riches.
Un pauvre quand il vole ne commet qu’un larcin, une peccadille tout
juste pour survivre et par nécessité. Les riches, ce sont eux qui volent
le fisc, les douanes et qui exploitent les peuples.
Monsieur le président, ma proposition ne vise pas tout
simplement à provoquer ou à faire du spectacle. Je voudrais dire ce que
chacun de nous pense et souhaite. Qui
ici ne souhaite pas que la dette soit purement et simplement effacée ?
Celui qui ne le souhaite pas, il peut sortir, prendre son avion et aller
tout de suite à la banque mondiale payer. Nous tous le souhaitons. (rires et applaudissements)
Ma proposition n’est pas non plus... Je ne voudrais pas
qu’on prenne la proposition du Burkina Faso comme celle qui viendrait de
la part de jeunes sans maturité, sans expérience. Je ne voudrais pas
non plus qu’on pense qu’il n’y a que des révolutionnaires à parler de
cette façon. Je voudrais qu’on admette simplement que c’est
l’objectivité et l’obligation. Et je peux citer, dans les exemples de
ceux qui ont dit de ne pas payer la dette, des révolutionnaires, comme
des non révolutionnaires, des jeunes comme des vieux. Je citerai par
exemple, Fidel Castro a déjà dit de ne pas payer, il n’a pas mon age,
même s’il est révolutionnaire. Mais je pourrais citer également François
Mitterrand qui a dit que les pays africains ne pouvaient pas payer, les
pays pauvres ne peuvent pas payer. Je pourrais citer madame le premier
ministre...je ne connais pas son age et je m’en voudrais de le lui
demander. Mais...(rires) c’est un exemple. Je voudrais citer également
Félix Houphouët Boigny, il n’a pas mon age. Cependant il a déclaré
officiellement et publiquement, du moins pour ce qui concerne son pays,
la Côte d’Ivoire ne peut pas payer. Or, la Côte d’ivoire est classée
parmi les pays les plus aisés d’Afrique, au moins d’Afrique francophone.
C’est pourquoi il est normal qu’elle paye plus, en contribution, ici
(éclats de rires).
Mais, Monsieur le Président, ce n’est donc pas de la
provocation. Je voudrais que très sagement vous nous offriez des
solutions. Je voudrais que notre conférence adopte la nécessité de dire
clairement que nous ne pouvons pas payer le dette, non pas dans un
esprit belliqueux, belliciste, ceci, pour éviter que nous allions
individuellement nous faire assassiner. Si le Burkina Faso tout seul
refuse de payer la dette, je ne serais pas là à la prochaine conférence.
Par contre, avec le soutien de tous, dont j’ai besoin,
(applaudissements) avec le soutien de tous, nous pourrons éviter de
payer. Et en évitant de payer nous pourrons consacrer nos maigres
ressources à notre développement.
Et je voudrais terminer en disant que chaque fois qu’un pays africain achète une arme, c’est contre un Africain.
Ce n’est pas contre un Européen, ce n’est pas contre un Asiatique, c’est contre un Africain.
Par conséquent nous devons également dans la lancée de la résolution de
la question de la dette trouver une solution au problème de l’armement.
Je suis militaire et je porte une arme. Mais Monsieur le président, je
voudrais que nous nous désarmions. Parce que moi je porte l’unique arme
que je possède, d’autres ont camouflé les armes qu’ils ont. (rires et
applaudissement)
Alors, chers frères, avec le soutien de tous, nous
pourrons faire la paix chez nous. Nous pourrons également utiliser ses
immenses potentialités pour développer l’Afrique parce que notre sol et
notre sous-sol sont riches. Nous avons suffisamment de bras et nous
avons un marché immense, très vaste du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest.
Nous avons suffisamment de capacité intellectuelle pour créer ou tout au
moins prendre la technologie et la science partout où nous pourrons les
trouver.
Monsieur le président, faisons en sorte que nous
mettions au point ce front uni d’Addis-Abeba contre la dette. Faisons en
sorte que ce soit à partir d’Addis-Abeba que nous décidions de limiter
la course aux armements entre pays faibles et pauvres. Les
gourdins et les coutelas que nous achetons sont inutiles. Faisons en
sorte également que le marché africain soit le marché des Africains :
produire en Afrique, transformer en Afrique et consommer en Afrique.
Produisons ce dont nous avons besoin et consommons ce que nous
produisons au lieu de l’importer. Le Burkina Faso est venu vous exposer
ici la cotonnade, produite au Burkina Faso, tissée au Burkina Faso,
cousue au Burkina Faso pour habiller les Burkinabé. Ma délégation et
moi-même, nous sommes habillés par nos tisserands, nos paysans. Il n’y a
pas un seul fil qui vienne de l’Europe ou de l’Amérique.
(applaudissements) Je ne fais pas un défilé de mode mais je voudrais
simplement dire que nous devons accepter de vivre africain. C’est la seule façon de vivre libre et de vivre digne .
Je vous remercie, Monsieur le président.