Posted by : Palabre-Infos
17 juin 2012
De plus
en plus de Subsahariens sont agressés physiquement. Dernier en date,
Amadou, un malien tué à coup de couteau devant une épicerie du quartier
Takadoum, à Rabat. Son tort : ne pas vouloir laisser passer son tour à
la caisse. Histoire de ces calvaires et témoignages de Pierre Delagrange
et Marcel Amiyeto.
Lundi
14 Mai 2012, il est 9 heures du matin. Dans le quartier Takadoum de
Rabat, les habitants sont sous le choc. À l’entrée de l’épicerie du
coin, le corps d’un jeune homme baigne dans le sang. Visiblement, il est
atteint de plusieurs coups à l’arme blanche. Une blessure au niveau
haut de la côte gauche, semble indiquer le coup qui lui a ôté la vie.
Amadouu, un ressortissant malien qui avait choisi le Maroc pour réaliser
ses rêves, n’avait jamais imaginé qu’il y perdrait la vie. À l’origine
de ce bain de sang, une simple altercation sur « à qui le tour » lors du
passage à la caisse. Le jeune malien s’était rendu à l’épicerie pour
acheter son petit déjeuner. Arrivé à la caisse, une dispute démarre
entre lui et un jeune marocain. Chacun d’eux souhaitant passer en
premier. Au fil des mots la tension monte et le premier coup de poignard
part. S’en suivent d’autres. Ils ne s’arrêteront que lorsque Amadouu
cessera de respirer.
Une violence ciblée
Marcel
Amiyeto, porte-parole du Conseil des migrants subsahariens au Maroc, se
souvient encore de ce jour-là. « Nous avons reçu la nouvelle comme un
choc. Très vite, nous nous sommes rendus sur place pour essayer
d’apporter notre aide. À notre arrivée, le quartier Takadoum s’était
transformé en champ de bataille ». Devant l’épicerie, ceux qui sont
venus secourir Amadou, des Subsahariens, se sont retrouvés face à un
groupe de jeunes du quartier, décidés à épauler leur voisin et à
débarrasser leur quartier, une fois pour toute de ces « intrus ».
D’un
côté comme de l’autre, jets de pierres, bâtons et armes blanches
viennent renforcer le corps à corps. Quelques minutes plus tard, un
autre homme est poignardé. « Plus tard quand la police est arrivée, tous
les Subsahariens ont été alignés sur un mur avant qu’un bus ne soit
réquisitionné pour y transporter tout le monde, blessés y compris, au
commissariat « Nahda ». De là, ils ont tous été reconduits aux
frontières » affirme Marcel.
Deux
semaines après, Amadou logeait encore à la morgue de Rabat. Son corps
attendait toujours d’être autopsié pour déterminer les causes du décès.
Si Amadou ne peut plus raconter lui-même son histoire, d’autres
personnes, qui ont survécu, ont témoigné des calvaires qu’ils ont
endurés. Ces témoignages, si bien gardés, nous avons pu, un à un, les
visionner. « Nous avons près de 80 témoignages de Subsahariens qui ont
été victimes de violences physiques. Ces déclarations sont appuyées de
justificatifs ; de certificats médicaux, de photos et d’enregistrements
vidéo » nous a révélé Pierre Delagrange, président du Collectif des
communautés Subsahariennes. Et ce nombre de 80 témoignages ne concerne
que le quartier Takadoum et seulement ceux qui ont eu le courage de
témoigner. La peur des représailles en dissuade un bon nombre.
Un nouveau chapitre s’annonce
Les
agressions physiques à l’encontre des Subsahariens ne sont pas réservés
qu’à ce quartier uniquement. « « Douar Kouraa » et « Kamal Sabah » sont
également peuplés de subsahariens qui sont agressés quotidiennement.
Ces actes de violence sont commis dans des boutiques, dans la rue,
devant et même dans les domiciles des victimes, au vu et au su de tout
le monde. L’arme blanche est souvent utilisée. Certains sont
régulièrement victimes de racket », nous certifie Pierre Delagrange. Les
Subsahariennes n’échappent pas à cette violence. « Le collectif détient
des témoignages de jeunes femmes qui ont été victimes de viols
(individuels ou collectifs) dans différentes villes du pays comme
Casablanca, Rabat, Oujda ou même Kénitra », poursuit Pierre.
L’histoire
de cette minorité a été récemment alimentée par un autre chapitre. Les
déclarations de Abdelhadi Khayrat, député de l’USFP, lors d’une audience
des questions orales à la Chambre des députés, en mai dernier. À cette
occasion, le député n’a pas hésité à faire l’amalgame entre les migrants
et les terroristes formés en Libye après la chute du régime de
Kaddhafi, représentant une menace pour le pays selon lui. « Notre
sentiment d’insécurité s’est tout de suite renforcé après ces
déclarations car elles alimentent des émotions négatives à notre égard.
La majorité d’entre nous s’est installée au Maroc bien avant que ne se
déclarent ces guerres » nous confie Marcel.
Pour
le président du Collectif des communautés subsahariennes, Pierre
Delagrange, cette inquiétude peut également, pour certains, être nourrie
par la nature de leur condition au Maroc. Pour certains subsahariens
qui vivent dans une situation irrégulière, la peur d’être reconduits aux
frontières les empêche de recourir aux autorités quand ils sont
victimes d’agressions . « Beaucoup de politiciens nous ont fait des
promesses. Mais depuis que le PJD est au pouvoir, notre dossier est
passé aux oubliettes » regrette Amiyeto. Une façon de dire que, comme
Amadou, son espoir de vivre dans la dignité, raison pour laquelle il
s’est réfugié au Maroc, a été poignardé.
Source: Malijet ( à visiter)