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- La Guinée va-t-elle suivre un scenario à la burundaise ?
Posted by : Palabre-Infos
16 mai 2015
Au-delà des spécificités burundaises, cette tentative de coup d’État
est le dernier exemple en date du danger que posent les pratiques
autocratiques des présidents n’ayant pas la confiance de leur population
au sein desquelles les tensions ethniques restent critiques.
Dans ce contexte, on ne peut qu’être alarmé lorsque le regard se
porte en Guinée sur les manipulations électorales orchestrées par le
président sortant Alpha Condé, en prévision des élections
présidentielles prévues le 11 octobre 2015.La Guinée : une histoire politique jalonnée de coups d’État
Largement gouvernée par une succession d’autocrates depuis son
indépendance en 1958, la Guinée s’est rapidement détournée de l’ancien
colon français pour tisser des liens forts avec l’Union Soviétique. Son
premier président, Ahmed Sekou Toure, a lancé le pays sur la voie du
socialisme révolutionnaire ; l’opposition politique fut rapidement
écrasée, plusieurs dizaines de milliers de Guinéens ont disparu, ont été
torturés ou exécutés pendant les 26 années de son régime autoritaire.
Suite au décès de Ahmed Sekou Toure en 1984, le pouvoir est confisqué
par Lansana Conte et d’autres officiers de l’armée guinéenne.
En 2000, la Guinée accueille jusqu’à un demi-million de réfugiés
fuyant les conflits en Sierra Leone et au Liberia, ce qui favorise la
montée des tensions ethniques dans le pays et nourrit une série
d’accusations mutuelles de tentatives de déstabilisation avec les pays
voisins.
Une junte militaire s’empare du pouvoir à la mort du président Conte
en décembre 2008. En 2010, suite à une période de transition et à une
élection de nombreuses fois reportée et émaillée de conflits ethniques
violents, le pouvoir revient à la société civile.
Un pays au cœur de l’Afrique de l’Ouest
La Guinée est apparue comme un îlot de stabilité géopolitique par
rapport au Liberia, au Sierra Leone et à la Côte d’Ivoire, ses voisins
immédiats, du moins jusqu’à maintenant.
La vie politique guinéenne est polarisée autour de deux douzaines
d’ethnies différentes qui vivent la plus grande partie du temps en
relative harmonie. Les Peuls représentent 40% de la population, devant
les Malinkés et les Soussous.
La Guinée reste un pays géopolitiquement sensible dans une région où
tout bouleversement politique ou conflit ethnique d’ampleur peut
rapidement déborder dans les pays voisins, notamment au Mali, au
Liberia, au Sierra Leone et en Côte d’Ivoire qui sortent tous de longues
périodes de guerre civile.
Une crise électorale dans un contexte de grande pauvreté
Bien que la richesse minérale de son sous-sol pourrait en faire l’un
des pays les plus riches du continent, la population guinéenne est l’une
des plus pauvres d’Afrique de l’Ouest. La Guinée est en effet le plus
grand pays exportateur de bauxite au monde et possède de prodigieuses
quantités d’or, de diamant, de minerai de fer, de graphite et de
manganèse mais la plus grande partie de sa population vit avec moins
d’un euro par jour. La Guinée est reléguée à la dernière place du
classement de l’Indice de Développement Humain.
Le président Alpha Condé a l’habitude de blâmer le virus Ebola afin
d’expliquer les très mauvaises performances économiques de son pays.
L’épidémie a débuté en effet au sud-est de la Guinée en décembre 2013 et
s’est propagée rapidement dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest,
d’abord au Liberia et au Sierra Leone (1350, 3200 et 1500 décès
respectivement) puis dans une moindre mesure au Nigeria, au Mali et au
Sénégal (8, 6 et 0 décès).
Cette tragédie ne saurait masquer la faiblesse de l’argumentaire du
président guinéen. Le niveau de pauvreté a augmenté tout au long de son
mandat, et ce bien avant le déclenchement de l’épidémie, tant dans les
zones urbaines que dans les zones rurales.
Ayant hérité d’une situation économique désastreuse, lui-même
incapable de se prévaloir d’un succès en la matière, le président
sortant, un outsider politique ayant vécu une grande partie de sa vie à
Paris, en poste depuis l’élection contestée en 2010 (où il n’avait
recueilli que 18% des voix au premier tour contre 44% pour son
adversaire, soutenu par les Peuls), se livre à de basses manœuvres en truquant le processus électoral
afin de s’assurer une réélection dans moins de six mois : reports
successifs des élections locales depuis quatre ans, contrôle de la
commission électorale soi-disant indépendante, refonte du calendrier
électoral présidentiel, refus d’engager le débat avec les partis
d’opposition, tirs à balles réelles sur des manifestants pacifiques,
etc.
Contrairement aux affirmations du Président Alpha Condé, ce n’est pas
l’épidémie d’Ebola qui a mis la Guinée à genoux. Bien au contraire,
c’est la corruption endémique de l’État guinéen qui est l’une des causes
principales de la faiblesse structurelle du système de santé du pays.
C’est là à la fois l’héritage de cinq décennies de régimes autoritaires
caractérisés par la violence politique et la répression, nourries d’un
environnement profondément corrompu, d’agents de l’État aux
comportements prédateurs et de l’absence d’un État de droit. Au-delà de
ce terreau défavorable, il revient à Alpha Condé d’assumer la
responsabilité des actes de corruption qui ont eu lieu sous son mandat
présidentiel, chose à laquelle il s’est pour l’instant refusé.
Transparency International classe ainsi régulièrement la Guinée parmi les pays où la perception de la corruption est la plus forte (150ème
sur 175 pays classés). Un exemple parmi d’autres est la récente
expropriation de concessions minières en faveur de personnes proches du
pouvoir ; ou le détournement d’une partie de l’aide financière
internationale visant à acheter du matériel sanitaire pour combattre
l’épidémie d’Ebola qui a permis d’enrichir des acheteurs intermédiaires
proches du régime. C’est bien sous le mandat du président Condé que
cette corruption continue de parasiter le pays, empêchant le
développement économique et donc le progrès social des Guinéens.
Une discrète poudrière
La Guinée est l’exemple type d’une population souffrant d’un État
parasite : une société humainement jeune (60% des 11 millions de
Guinéens ont moins de 25 ans) dynamique et stable qui pourrait profiter
de ressources naturelles remarquables mais qui en est empêchée par un
État dirigé par une suite d’autocrates gouvernant pour le bénéfice de
quelques-uns.
Au fur et à mesure que le processus menant aux élections
présidentielles d’octobre 2015 voit s’accumuler les trucages, le risque
d’une crise politique profonde s’accroît, attisée par le manque de
progrès socio-économiques et des tensions ethniques discrètes mais bien
présentes dans une région où les conflits sont impossibles à contenir1.
Par conséquent, il est important pour les sociétés civiles
internationales de s’engager dès maintenant en Guinée afin de garantir
des élections libres, justes et transparentes donnant des résultats
crédibles acceptables pour tous les Guinéens. Un échec menacerait la
paix, la stabilité et les acquis démocratiques de toute la région.