- Back to Home »
- AFRIQUE , Azawad , Mali , Minusma »
- Mali: la paix à marche forcée?
Posted by : Palabre-Infos
25 mai 2015
REUTERS/Joe Penney |
Huit mois après le début des négociations
inter-maliennes, un accord a été signé le 15 mai 2015 à Bamako.
Pourtant, au Nord et au centre du Mali les affrontements meurtriers se
poursuivent.
Le 11 mai, des combats entre la Coordination des mouvements
de l’Azawad (CMA) et des soldats maliens ont fait neuf morts et
quatorze blessés. La Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) n’a
toujours pas signé le texte. Elle l’a parafé la veille de la cérémonie
mais exige des discussions complémentaires avant d’accepter pleinement
un accord. Cela compromet fortement l’application du texte et notamment
son volet désarmement. Face à ces risques, la médiation devrait établir
un cadre pour que des discussions complémentaires se poursuivent, et les
parties maliennes devraient retourner, au plus tôt, à la table des
négociations. De son côté, la mission onusienne, la Minusma, aidée par
la France toujours militairement présente au Mali, doit adopter une
position plus ferme face aux violations du cessez-le-feu.
L’ensemble des acteurs porte une
responsabilité dans la situation actuelle. Une partie des responsables
politiques et militaires maliens n’ont pas abandonné l’idée de revanche
militaire et cherchent à instrumentaliser en ce sens les groupes
politico-militaires de la Plateforme du 14 juin – qui ont repris la
ville de Ménaka le 27 avril dernier. De son côté, la CMA campe sur des
revendications peu réalistes et ignore la diversité des populations du
Nord qui n’adhèrent pas toutes à ses projets. La médiation
internationale a, quant à elle, imposé un agenda essentiellement
sécuritaire et a fermé trop tôt la porte des négociations. Malgré les
nombreuses pressions, elle n’a pu obtenir l’adhésion complète de la CMA à
l’accord de paix, mais s’est obstinée à organiser la signature le 15
mai. La cérémonie du 15 mai, théâtre d’une friction entre le président
malien et le secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la
paix des Nations unies, a révélé les divergences sur la suite à donner à
la signature de l’accord.
Si l’accord de paix parfait n’existe pas,
le texte signé souffre de profondes lacunes. Il reproduit pour
l’essentiel les recettes du passé, en favorisant par exemple une
politique de décentralisation et de clientélisme qui n’a jamais apporté
la paix. Il propose de renforcer les institutions d’un système politique
malade. Les parties maliennes, réticentes à s’engager dans un dialogue
direct, héritent d’un texte largement rédigé par la médiation et qui
reflète ses intérêts. Celle-ci privilégie la restauration de l’ordre et
de la stabilité dans une situation marquée au contraire par l’aspiration
des populations du Nord au changement. L’accord évoque peu les
questions d’accès aux services sociaux de base, d’emploi et de justice,
pourtant au cœur des préoccupations de la population. La priorité donnée
à la sécurité a relégué au second plan le difficile combat pour
restaurer l’utilité sociale de l’Etat sur l’ensemble du territoire
malien.
Alors que la signature de l’accord n’a pas
permis d’inclure l’ensemble des parties en belligérance, la reprise des
combats depuis quelques semaines menace une partie du pays
d’embrasement. L’attaque sur la ville de Ménaka s’est produite le 27
avril, au lendemain de la décision par la CMA de parafer l’accord en
échange d’une reprise des discussions avant signature. La reprise des
affrontements à la suite de cet engagement obtenu à l’arraché signale
que des mois de négociations n’ont pas réglé le déficit de confiance
entre les parties. Des deux côtés, les ailes dures n’avaient pas intérêt
à la signature d’un accord réunissant tous les acteurs et ont profité
du blocage des discussions pour relancer les combats. Ni la présence de
la Minusma, ni la menace de sanctions n’ont réussi à les convaincre de
respecter le cessez-le-feu.
Les groupes de la Plateforme, qui
représentent pourtant des intérêts réels au Nord, sont liés et en partie
instrumentalisés par l’aile dure de l’Etat malien. Cette dernière les
utilise comme auxiliaires militaires pour éviter de s’engager
directement sur le terrain. Les risques d’extension du conflit sont
d’autant plus préoccupants que d’autres zones situées au centre du Mali
ont connu ces derniers mois une insécurité inédite. Dans le contexte
actuel de développement des groupes armés sur des bases communautaires,
la résurgence des combats peut engendrer une situation plus fragmentée,
impliquant plus de victimes civiles. Pour éviter que le Mali ne sombre
dans un nouveau cycle de violence malgré la signature de l’accord de
Bamako le 15 mai, la discussion politique doit prévaloir sur
l’autoritarisme diplomatique ou le langage des armes.
RECOMMANDATIONS
A la Minusma :
1. Rétablir et, plus encore, faire
respecter le cessez-le-feu, en montrant, avec le soutien du Conseil de
sécurité des Nations unies, sa détermination à appliquer des sanctions
ciblées en cas de violations avérées.
2. Assurer de façon temporaire la sécurité
de la ville de Ménaka après avoir négocié le retrait de la Plateforme
et obtenu l’assurance de la CMA qu’elle ne réoccupera pas la ville.
A la France :
3. Ajuster les missions de la force
française Barkhane afin d’aider la Minusma à assurer le respect du
cessez-le-feu et notamment la sécurité de la ville de Ménaka après le
retrait négocié de la Plateforme.
4. Etendre les activités de la force
Barkhane pour décourager les principaux trafiquants de stupéfiants de
s’engager dans des opérations militaires pour la conquête ou la
protection de territoires.
5. User de son influence, avec les autres
partenaires du Mali, pour convaincre le président Ibrahim Boubacar Keïta
(IBK) d’écarter sans équivoque l’option belliciste et de privilégier le
dialogue avec la CMA.
A l’ensemble des parties maliennes en belligérance :
6. S’abstenir de violer le cessez-le-feu
ou mesurer les conséquences graves auxquelles elles s’exposent. Les
parties signataires doivent renoncer à considérer toutes les parties non
signataires de l’accord comme des groupes hostiles à la paix tant que
ces dernières respectent le cessez-le-feu.
7. Accepter l’offre de l’équipe de
médiation internationale d’engager une ultime phase de discussion pour
obtenir le ralliement du plus grand nombre et chercher les moyens
d’améliorer l’accord.
Au gouvernement malien et aux groupes de la Plateforme :
8. Privilégier le dialogue politique direct après la signature de
l’accord et, pour cela, appeler les groupes de la Plateforme à la
modération au lieu de les encourager dans leurs opérations militaires.
A la Coordination des mouvements de l’Azawad :
9. Accepter clairement le dialogue direct avec le gouvernement comme avec les groupes de la Plateforme.
10. Abandonner les revendications les
moins réalistes à ce stade des négociations et tenir compte dans ses
positions de la diversité d’opinion des populations du Nord Mali.
A l’équipe internationale de médiation :
11. Relancer une phase de négociations complémentaires destinées à obtenir le ralliement du plus grand nombre d’acteurs.
12. Améliorer l’accord par des clauses
additionnelles et la recherche d’un consensus sur sa mise en œuvre. Ces
clauses devront notamment proposer des pistes spécifiques pour que les
conflits locaux, part importante de la crise au Nord Mali, puissent se
résoudre par la voie du politique plutôt que par celle des armes.
Elles devront aussi replacer l’utilité sociale de l’Etat au cœur des
préoccupations et souligner la nécessité de garantir une meilleure
efficacité des programmes dedéveloppement.
Dakar/Bruxelles, 22 mai 2015