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- Mali| Les groupes armés islamistes sèment la peur dans le Nord
Posted by : Palabre-Infos
26 sept. 2012
Des combattants du groupe islamiste armé MUJAO, lié à Al-Qaïda, montent la garde à Gao, dans le nord-est du Mali, le 7 août 2012 |
(Nairobi, le 25 septembre 2012) – Les trois groupes armés islamistes
qui contrôlent le nord du Mali ont commis de graves abus à l’encontre de
la population locale alors qu’ils cherchent à imposer leur
interprétation de la charia, ou loi islamique, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Au cours des dernières semaines, Human Rights Watch a
interrogé une centaine de témoins qui ont fui la région ou y sont
restés.
Les trois groupes rebelles – Ansar Dine, le Mouvement pour l’unicité et
le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Al-Qaïda au Maghreb islamique
(AQMI) – ont enrôlé plusieurs centaines d’enfants dans leurs forces,
perpétré des exécutions, des flagellations et au moins huit amputations
en guise de châtiment, et ont détruit systématiquement de nombreux sites
religieux d’une grande importance culturelle et religieuse. En avril
2012, les groupes rebelles ont renforcé leur contrôle sur les régions de
Kidal, Tombouctou et Gao, dans le nord du pays.« Les groupes armés islamistes sont de plus en plus répressifs alors qu’ils resserrent leur emprise sur le nord du Mali », a expliqué Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique à Human Rights Watch. « Les lapidations, les amputations et les flagellations sont devenues courantes dans une tentative évidente de forcer la population locale à adopter leur vision du monde. Pour imposer leur interprétation de la charia, ils ont également organisé une parodie de justice tragiquement cruelle et ont recruté et armé des enfants dont certains n’avaient que 12 ans. »
Depuis juillet, Human Rights Watch a réalisé 97 entretiens dans la capitale malienne, Bamako, avec des témoins et des victimes d’abus, ainsi qu’avec d’autres personnes ayant connaissance de la situation des droits humains, notamment des chefs religieux et traditionnels, des membres du personnel médical, des activistes des droits humains, des enseignants, des diplomates, des journalistes et des représentants du gouvernement. Bon nombre de ces témoins avaient fui les zones affectées ; ceux qui sont restés dans les zones aux mains des rebelles ont été interviewés par téléphone. Des témoins ont décrit les exactions qui ont lieu dans le nord, dans les villes de Gao, Tombouctou, Goundam, Diré, Niafounké, Ansongo, Tissalit, Aguelhoc et Kidal.
En janvier, les groupes rebelles ont lancé une offensive militaire pour prendre le contrôle du nord du Mali, au départ aux côtés du groupe séparatiste touareg, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Depuis ils ont largement repoussé le MNLA hors du nord du pays.
Ansar Dine cherche à imposer son interprétation stricte de la charia au Mali. AQMI, affilié à Al-Qaïda depuis janvier 2007, a été impliqué dans des attaques contre des civils et des enlèvements contre rançon de touristes, d’hommes d’affaires et de travailleurs humanitaires, dont certains ont été exécutés. Le MUJAO, créé à la fin de l’année 2011 comme une importante ramification mauritanienne d’AQMI, a reconnu la responsabilité de l’enlèvement de plusieurs travailleurs humanitaires et, le 5 avril, de sept diplomates algériens. Le MUJAO et Ansar Dine ont revendiqué la responsabilité de nombreux abus, y compris des meurtres, des amputations et la destruction de sites religieux et d’autres structures importantes d’un point de vue culturel.
Les groupes islamistes ont progressé en profitant du chaos politique et sécuritaire qui a suivi le coup d’État organisé à Bamako le 22 mars par des officiers de l’armée malienne de grade inférieur qui cherchaient à manifester leur insatisfaction quant à la réponse du gouvernement face à la rébellion du MNLA. Le gouvernement provisoire établi en avril a, depuis lors, été affaibli par des querelles internes et des luttes pour le pouvoir, ce qui a paralysé la réponse à la situation dans le Nord.
Ansar Dine, le MUJAO et AQIM semblent être étroitement liés les uns aux autres, a déclaré Human Rights Watch. Alors que des groupes particuliers semblent contrôler certaines régions, par exemple, Ansar Dine à Kidal et Tombouctou et le MUJAO à Gao, leurs forces se déplacent souvent facilement entre les régions et se sont prêté main-forte mutuellement pendant les troubles. De plus, plusieurs commandants et combattants du MUJAO et d’Ansar Dine ont été identifiés par plusieurs témoins comme ayant également été affiliés à AQMI auparavant. Beaucoup de résidents sont parvenus à la conclusion que, selon les mots d’un témoin, « Ansar Dine, le MUJAO et AQMI ne font qu’un ». Les témoins ont raconté que la plupart des commandants n’étaient pas des Maliens et venaient de Mauritanie, d’Algérie, du Sahara occidental, du Sénégal, de Tunisie et du Tchad.
Des dizaines de témoins et cinq victimes dans le Nord ont raconté à Human Rights Watch que les groupes armés islamistes ont pratiqué des passages à tabac, des flagellations, des arrestations arbitraires et ont exécuté deux résidents locaux, dans tous les cas en raison d’un comportement décrété comme « haraam » (interdit) selon leur interprétation de la charia. Ces comportements incluaient la consommation ou la vente de cigarettes, la consommation ou la vente de boissons alcoolisées, l’écoute de musique sur des appareils audio portatifs, l’utilisation de musique ou autres enregistrements à la place de versets du Coran en guise de sonnerie de téléphones portables, et le non-respect des prières quotidiennes.
Le 30 juillet, à Aguelhoc, les autorités islamistes ont lapidé à mort un homme marié et une femme avec laquelle il n’était pas marié pour adultère, devant 200 personnes d’après les informations disponibles. Elles ont également châtié des femmes qui n’ont pas respecté leur code vestimentaire – qui exige que les femmes se couvrent la tête, portent des jupes longues et s’abstiennent de porter des bijoux ou du parfum –et qui ont eu des contacts avec des hommes qui n’étaient pas des membres de leur famille.
Dans les régions du Nord, les sanctions pour ces « infractions » ainsi que pour les actes supposés de vol et de banditisme ont été infligées par la police islamique, souvent après un « procès » sommaire devant un collège de juges choisis par les autorités islamistes. Beaucoup de châtiments sont pratiqués sur les places publiques après que les autorités ont convoqué la population locale pour y assister.
De nombreux témoins ont affirmé avoir vu des hommes et des femmes arrêtés ou fouettés sur les places de marché et dans la rue, souvent par des adolescents armés, pour avoir fumé, bu de l’alcool ou ne pas être couvertes de manière adéquate. Certains résidents âgés et frêles se sont écroulés pendant les flagellations.
Beaucoup de résidents des régions de Tombouctou, Kidal et Gao ont raconté à Human Rights Watch qu’ils ont vu des enfants dans ce qui semblait être des camps d’entraînement des groupes armés islamistes. Ils ont aussi observé des enfants âgés de 11 ans en train de garder des points de contrôle, d’effectuer des patrouilles à pied, de circuler à bord de véhicules de patrouille, de surveiller des prisonniers, de faire appliquer la charia et de cuisiner pour les groupes rebelles. Un témoin a décrit que l’on apprenait aux enfants à recueillir des renseignements en marchant dans la ville et, ensuite, « à rapporter ce qu’ils avaient vu et entendu ».
Depuis avril, les groupes islamistes ont amputé des membres à au moins huit hommes accusés de vol, dont sept dans la région de Gao. Human Rights Watch s’est entretenu avec la victime d’une amputation de la main le 8 août à Ansongo, et avec deux témoins des cinq amputations qui ont eu lieu le 10 septembre à Gao. L’amputation de mains, de pieds ou de jambes d’un individu en guise de sanction criminelle est une torture, en violation du droit international.
À Tombouctou, des militants islamistes ont détruit de nombreuses structures, y compris des mausolées, des cimetières et des lieux saints, qui avaient une grande importance religieuse, historique et culturelle pour les Maliens. Les résidents de Tombouctou ont confié avoir été profondément choqués par ces destructions. Une femme a raconté à Human Rights Watch : « Il leur a fallu environ une heure et demi pour démolir notre héritage, notre culture ». Un homme qui a été le témoin de la destruction de la tombe de Sidi Mahmoud a expliqué : « Alors qu’ils détruisaient la tombe, en hurlant “Allah akbar” pour que tout le monde entende, des centaines d’entre nous, à l’intérieur des maisons et à l’extérieur, pleuraient ».
Le droit international humanitaire et les droits humains interdisent tout mauvais traitement des personnes en détention, y compris les exécutions, les tortures et les pillages. L’utilisation d’enfants soldats et la destruction délibérée de monuments culturels et religieux sont aussi interdites. Les dirigeants des groupes rebelles peuvent être reconnus responsables, en vertu du droit international, pour les abus commis par les forces sous leur commandement, a expliqué Human Rights Watch.
Les groupes islamistes doivent immédiatement cesser les mauvais traitements infligés aux résidents et la destruction des sites appartenant au patrimoine malien, s’engager à respecter le droit international, et libérer les enfants enrôlés dans leurs forces, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch appelle les dirigeants des groupes armés islamistes dans le nord du Mali à :
- Mettre un terme aux meurtres, amputations, flagellations et autres tortures et traitements cruels et inhumains infligés à des personnes en détention ; traiter humainement les détenus conformément aux normes internationales.
- Cesser de recruter des enfants de moins de 18 ans conformément aux obligations légales internationales du Mali, relâcher tous les enfants précédemment enrôlés et empêcher l’utilisation des écoles à des fins militaires, par exemple pour l’entraînement militaire.
- Reconnaître publiquement l’obligation de respecter entièrement le droit international humanitaire.
- S’engager publiquement à respecter les droits humains internationaux, tels que stipulés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme ; respecter les droits à la régularité des procédures et à la liberté d’expression, d’association et de réunion.
- Cesser toutes les attaques contre les sites religieux à Tombouctou et partout ailleurs, et indemniser de manière adéquate les autorités locales pour le coût des réparations et de la reconstruction des sites détruits ou endommagés.