Après les récentes séries de documentaire diffusée sur France 2 ( France) révélant les dessous de la France-Afrique voici à nouveau des explications sur les relations entre la France et l'Afrique. Des mallettes pleines de billet ont changé de main entre présidents-dictateurs africains et des hommes politiques français pour le financement de leur partis politique ou de campagne électoral. Depuis la parution de cette interview dans le journal de dimanche ( jdd.fr), se succèdent dans le médias ( radio et tv) français toute séries de démentie pour discréditer les propos de cet avocat qui semble-t-il s'est réveillé un beau matin et s'en est rendu compte que ce qu'il faisait n'était pas très légal. Du coup pour faire bonne conscience, il déballe tout sauf que dans le sens où il a participé au système et que actuellement, il n'a peut être plus de place dans le système, sa crédibilité est tout à fait discutable. Lire ici l'intégralité de cette interwiew qui fait mouche au seins de la classe politique française.
Pourquoi prendre la parole aujourd’hui?
Pourquoi prendre la parole aujourd’hui?
Avant toute chose, je veux dire que je parle en mon nom personnel, je ne
suis mandaté par personne. Pierre Péan, que je connais depuis vingt
ans, est venu me voir pour son enquête sur Alexandre Djouhri et, de fil
en aiguille, nous avons un peu parlé de quelqu’un que je connais bien,
Dominique de Villepin. Depuis quelques jours, j’observe, je lis et
j’entends les commentaires de ce dernier sur l’enquête de Pierre Péan.
Trop, c’est trop. À 66 ans, j’en ai assez des donneurs de leçon et des
leçons de morale… J’ai décidé de jeter à terre ma tunique de Nessus, cet
habit qui me porte malheur et que je n’ai jamais mérité.
Dans le livre de Pierre Péan, vous racontez comment Villepin vous a déçu… J’ai
travaillé avec Dominique pendant des années. Nous avons été très
proches, comme on peut être proche d’un ami, de quelqu’un que l’on
connaît intimement. Et puis, fin 2005, brutalement, il m’a chassé. Oui,
il m’a déçu. N’est pas de Gaulle qui veut. L’entendre donner des leçons,
lui que je connais de l’intérieur, m’exaspère.
À quand remonte votre première rencontre?
En mars 1997, le jour de l’enterrement de mon maître, Jacques Foccart,
Dominique de Villepin m’appelle et me dit qu’il m’attend le soir même
dans son bureau. Ce soir-là, à l’Elysée, il y a Jacques Chirac. Le
président me demande de reprendre le flambeau avec Villepin… Et souhaite
que je l’initie à ce que nous faisions avec le "Doyen", comme
j’appelais Foccart.
C’est-à-dire?Pendant trente ans, Jacques Foccart a été en
charge, entre autres choses, des transferts de fonds entre les chefs
d’État africains et Jacques Chirac. Moi-même, j’ai participé à plusieurs
remises de mallettes à Jacques Chirac, en personne, à la mairie de
Paris.
«Il n’y avait jamais moins de 5 millions de francs»
Directement?
Oui, bien sûr. C’était toujours le soir. "Il y a du lourd?" demandait
Chirac quand j’entrais dans le bureau. Il m’installait sur un des grands
fauteuils bleus et me proposait toujours une bière. Moi qui n’aime pas
la bière, je m’y suis mis. Il prenait le sac et se dirigeait vers le
meuble vitré au fond de son bureau et rangeait lui-même les liasses. Il
n’y avait jamais moins de 5 millions de francs. Cela pouvait aller
jusqu’à 15 millions. Je me souviens de la première remise de fonds en
présence de Villepin. L’argent venait du maréchal Mobutu, président du
Zaïre. C’était en 1995. Il m’avait confié 10 millions de francs que
Jacques Foccart est allé remettre à Chirac. En rentrant, le "Doyen"
m’avait dit que cela s’était passé "en présence de Villepinte", c’est
comme cela qu’il appelait Villepin. Foccart ne l’a jamais apprécié… Et
c’était réciproque.
Pourquoi? En 1995, Juppé et Villepin se sont opposés à ce que
Foccart occupe le bureau du 2, rue de l’Élysée, qui était son bureau
mythique du temps de De Gaulle et Pompidou. Le "Doyen" en avait été très
amer. Il avait continué à apporter les fonds, mais il avait été
humilié.
À combien évaluez-vous les remises d’argent de Foccart venant d’Afrique?
Incalculable! À ma connaissance, il n’y avait pas de comptabilité.
Plusieurs dizaines de millions de francs par an. Davantage pendant les
périodes électorales.
«À l’approche de la campagne présidentielle de 2002, Villepin m’a carrément demandé "la marche à suivre»
Et les remises de valises ont continué?
Elles n’ont jamais
cessé. À l’approche de la campagne présidentielle de 2002, Villepin m’a
carrément demandé "la marche à suivre". Il s’est même inquiété. C’est sa
nature d’être méfiant. Je devais me présenter à l’Élysée sous le nom de
"M. Chambertin", une de ses trouvailles. Pas question de laisser de
traces de mon nom. Par mon intermédiaire, et dans son bureau, cinq chefs
d’État africains - Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Compaoré (Burkina
Faso), Laurent Gbagbo (Côte d'Ivoire), Denis Sassou
Nguesso(Congo-Brazzaville) et, bien sûr, Omar Bongo (Gabon) - ont versé
environ 10 millions de dollars pour cette campagne de 2002.
Alors que ces fonds en liquide ne figurent sur aucun compte officiel,
que les fonds secrets avaient été supprimés par Lionel Jospin, que
l’affaire Elf avait mis en lumière les fortunes occultes des chefs
d’État africains…
C’est l’exacte vérité. Un exemple qui ne
s’invente pas, celui des djembés (des tambours africains). Un soir,
j’étais à Ouagadougou avec le président Blaise Compaoré. Je devais
ramener pour Chirac et Villepin 3 millions de dollars. Compaoré a eu
l’idée, "connaissant Villepin comme un homme de l’art", a-t-il dit, de
cacher l’argent dans quatre djembés. Une fois à Paris, je les ai chargés
dans ma voiture jusqu’à l’Élysée. C’est la seule fois où j’ai pu me
garer dans la cour d’honneur! C’était un dimanche soir et je suis venu
avec un émissaire burkinabais, Salif Diallo, alors ministre de
l’Agriculture. Je revois Villepin, sa secrétaire, Nadine Izard, qui
était dans toutes les confidences, prendre chacun un djembé, devant les
gendarmes de faction… Les tams-tams étaient bourrés de dollars. Une fois
dans son bureau, Villepin a dit : "Blaise déconne, c’est encore des
petites coupures!"
«Lors des grandes remises de fonds, j’étais attendu comme le Père Noël»
Comment écoulait-il ces fonds? Pierre Péan a demandé à Éric Woerth, trésorier de la campagne de 2002, qui n’a jamais eu vent de ces espèces… Je ne sais pas ce que Chirac et Villepin en faisaient. C’est leur problème.
Vous dites que Laurent Gbagbo aussi a financé la campagne de Jacques Chirac en 2002…
Oui.
Il m’avait demandé combien donnait Omar Bongo, et j’avais dit 3
millions de dollars. Laurent Gbagbo m’a dit : "On donnera pareil alors."
Il est venu à Paris avec l’argent. Nous nous sommes retrouvés dans sa
suite du Plaza Athénée. Nous ne savions pas où mettre les billets. J’ai
eu l’idée de les emballer dans une affiche publicitaire d’Austin Cooper.
Et je suis allé remettre le tout à Villepin, à l’Élysée, en compagnie
d’Eugène Allou, alors directeur du protocole de Laurent Gbagbo. Devant
nous, Villepin a soigneusement déplié l’affiche avant de prendre les
billets. Quand on sait comment le même Villepin a ensuite traité Gbagbo,
cela peut donner à réfléchir…
Jacques Chirac était-il au courant de toutes les remises d’espèces?
Bien
sûr, tant que Villepin était en poste à l’Élysée. Lors des grandes
remises de fonds, j’étais attendu comme le Père Noël. En général, un
déjeuner était organisé avec Jacques Chirac pour le donateur africain,
et ensuite, la remise de fonds avait lieu dans le bureau du secrétaire
général. Une fois, j’étais en retard. Bongo, qui m’appelait "fiston" et
que j’appelais "papa", m’avait demandé de passer à 14h 45. Nadine, la
secrétaire de Villepin, est venue me chercher en bas et m’a fait passer
par les sous-sols de l’Élysée. J’avais un gros sac de sport contenant
l’argent et qui me faisait mal au dos tellement il était lourd. Bongo et
Chirac étaient confortablement assis dans le bureau du secrétaire
général de l’Élysée. Je les ai salués, et je suis allé placer le sac
derrière le canapé. Tout le monde savait ce qu’il contenait. Ce jour-là,
j’ai pensé au Général, et j’ai eu honte.
«Dominique est quelqu’un de double»
Après la réélection de 2002, Villepin a quitté l’Élysée pour le ministère des Affaires étrangères. Avec qui traitiez-vous?
Toujours avec lui. Cela a continué quand il est passé au Quai d’Orsay, à
l’Intérieur, et aussi quand il était à Matignon. Place Beauvau, un
nouveau "donateur", le président de Guinée équatoriale Obiang NGuéma, a
voulu participer. J’ai organisé un déjeuner au ministère de l’Intérieur,
en présence du président sénégalais Abdoulaye Wade et son fils Karim,
au cours duquel Obiang NGuéma a remis à Villepin une mallette contenant
un million et demi d’euros. Parfois, Dominique sortait directement
l’argent devant nous, même si je venais accompagné d’un Africain, et,
sans gêne, il rangeait les liasses dans ses tiroirs. Pour l’anecdote, je
lui laissais parfois la mallette sans qu’il l’ouvre en lui donnant le
code de la serrure… Une autre fois, lorsqu’il était à Matignon, Villepin
s’impatientait parce que l’ambassadeur du Gabon était en retard. Il est
finalement arrivé tout essoufflé avec un sac contenant 2 millions
d’euros. "C’est lourd", disait-il… en frôlant l’infarctus.
Quel genre?
Je me souviens d’un bâton du maréchal d’Empire, qui lui avait été offert
par Mobutu. Bongoet Gbagbo lui ont aussi offert de superbes masques
africains. Bongo lui a offert des livres rares, des manuscrits de
Napoléon… Chirac a reçu des cadeaux splendides, aussi. Je me souviens
d’une montre Piaget offerte par Bongo, qui devait réunir environ deux
cents diamants. Un objet splendide, mais difficilement portable en
France…
Comment savez-vous cela?J’avais accès au gestionnaire du
compte parisien d’Omar Bongo, et il m’est arrivé d’aider certaines
personnes proches de Dominique, qui en avaient besoin. Avec "papa", nous
avions un code: entre nous, nous appelions Villepin "Mamadou", parce
qu’autrefois un secrétaire général du président gabonais se prénommait
ainsi. Il me suffisait de dire : "Papa, 'Mamadou' a besoin de quelque
chose." Et Omar Bongo me disait de faire le nécessaire.
«Grâce à son ingratitude, je suis allé voir Nicolas Sarkozy»
Vous disiez que les remises d’espèces ont continué quand Villepin était à Matignon...
Bien sûr. Les présidents africains avaient dans la tête que Villepin
allait préparer la présidentielle. Omar Bongo, place Beauvau, lui avait
dit : "Dominique, entends-toi avec Nicolas." Et Villepin lui avait ri au
nez et lui avait répondu : "J’irai à Matignon, puis à l’Élysée." Il
avait un sentiment de toute-puissance à cette époque. Je me souviens
d’un jour, au Quai d’Orsay, où sa secrétaire m’appelle en urgence.
"Camarade, un double whisky aujourd’hui, la ration John Wayne", me lance
Dominique dans son bureau. Il avait quelque chose à me dire :
"Aujourd’hui, j’ai atteint l’âge du général de Gaulle le jour de l’appel
du 18 juin, j’ai 49 ans, Robert! Je serai l’homme du recours!" Il a
prononcé plusieurs fois cette phrase – "Je serai l’homme du recours" –
en imitant la voix du Général. En rentrant chez moi, j’ai dit à ma femme
qu’il y avait peut-être un problème…
Comment cela s’est-il arrêté et pourquoi?
Fin 2005, la dernière semaine de septembre. Nadine, sa secrétaire,
m’appelle selon le code : "Nous allons acheter des fleurs." Cela voulait
dire que l’on se retrouve devant le Monceau Fleurs du boulevard des
Invalides. Elle venait me chercher en voiture pour m’amener à Matignon.
Ce jour-là, elle m’a fait entrer par l’arrière et m’a laissé dans le
pavillon de musique. Villepin m’a fait attendre une demi-heure. J’ai
tout de suite eu l’intuition qu’il y avait un problème.
Que s’est-il passé?
Il est arrivé et a lancé un drôle de "Alors, camarade, ça va?", avant de
m’expliquer : "L’argent de Sassou, de Bongo, de tous les Africains,
sent le soufre. C’est fini", a-t-il poursuivi… Je me souviens de sa
phrase : "Si un juge d’instruction vous interroge, vous met un doigt
dans le cul, cela va mal finir." Il parle exactement comme cela. Je l’ai
bien regardé. Je lui ai dit qu’il m’emmerdait et je suis parti en
serrant la mâchoire. Il m’a couru après en disant "camarade, camarade!",
m’a rappelé cinq ou six fois dans les jours qui ont suivi. J’avais
décidé que ce n’était plus mon problème. Grâce à son ingratitude, je
suis allé voir Nicolas Sarkozy.
Comment cela?Nicolas Sarkozy m’a écouté, je lui ai raconté
tout ce que je vous raconte aujourd’hui. Même lui, il m’a paru étonné.
Je l’entends encore me demander : "Mais qu’est-ce qu’ils ont fait de
tout cet argent, Robert ?" Il m’a dit aussi : "Ils t’ont humilié comme
ils m’ont humilié, mais ne t’inquiète pas, on les aura." Je l’ai revu la
semaine suivante. Nicolas Sarkozy m’a dit : "Robert, là où je suis, tu
es chez toi", et m’a demandé de travailler pour lui, mais sans le
système de financement par "valises".
«L’argent d’Omar Bongo a payé le loyer pendant des années»
Les financements africains auraient-ils cessé pour la campagne de 2007? Difficile à croire… D’autant que Sarkozy, à peine élu, s’est rendu au Gabon et a annulé une partie de la dette gabonaise… Je dis ce que je sais. Ni Omar Bongo ni aucun autre chef d’État africain, par mon intermédiaire, n’a remis d’argent ni à Nicolas Sarkozy ni à Claude Guéant.
Vous étiez proche de Laurent Gbagbo, vous n’avez pas été invité à l’intronisation d’Alassane Ouattara…
Laurent Gbagbo est un ami de trente ans. Il m’a raccroché au nez la
dernière fois que je l’ai appelé. J’étais dans le bureau de Claude
Guéant et c’était dans les derniers jours avant sa destitution… Il ne
voulait plus prendre ni Sarkozy ni Obama au téléphone. Il ne voulait
rien entendre et m’a dit : "C’est la dernière fois que je te parle." Par
la suite, tout le monde le sait, Alain Juppé m’a fait enlever de la
liste des invités pour l’intronisation de Ouattara.
Vous en voulez à Alain Juppé…Lui aussi me fait sourire quand
je l’entends donner des leçons de morale. Je vais finir par cette
histoire qui remonte à 1981. Alain Juppé a pris la tête du Club 89, un
cercle de réflexion de chiraquiens qui s’est installé dans de superbes
locaux de l’avenue Montaigne. C’est moi qui ai signé le bail du loyer,
qui était de 50.000 francs mensuels, une somme pour l’époque.
D’ailleurs, le téléphone du 45, avenue Montaigne était à mon nom!
L’argent d’Omar Bongo a payé le loyer pendant des années, entre 1981 et
1992. Les espèces du président gabonais ont fait vivre les permanents
pendant des années… Le secrétaire général du Club 89, Alain Juppé, ne
pouvait pas l’ignorer. Je sais qu’aujourd’hui tout le monde a la mémoire
qui flanche. Moi, pas encore.