- Back to Home »
- AFRIQUE , Blaise Compaoré , Burkina Faso , Démocratie , Justice , Thomas Sankara »
- BURKINA FASO| 15 octobre 1987: Une date, deux célébrations et des mystères
Posted by : Palabre-Infos
12 oct. 2012
Thomas Sankara |
«En attendant que le temps et les historiens apportent un
éclairage plus cru et plus objectif sur la question, revisitons cette
page sanglante de notre histoire», écrivions-nous dans notre article du 15 octobre 2007 intitulé : «Il était une fois le 15 octobre».
Blaise Compaoré fêtera ce jour de 2012 son quart de siècle de pouvoir,
tandis que la galaxie sankariste commémorera celui de la disparition
tragique de Thomas Sankara. Un anniversaire et beaucoup de zones
d’ombre, pour ne pas dire de mystères, malgré certains témoignages et
des révélations dans des livres. Enième feuilletage de ces pages sombres
de notre histoire.
«C’est absurde», s’est écrié Roquentin devant les racines du marronnier dans la Nausée
de Jean-Paul Sartre, lequel mit ces mots dans la bouche de son
personnage pour signifier le caractère évanescent de la vie, la finitude
de l’homme. Et l’histoire des hommes a été toujours jalonnée de
tragédies. Le 15 octobre fut une tragédie burkinabè. Mais avant cette
date, il y a eu, comme on le dit, les jours d’avant. Les préludes de ce
qu’il est convenu d’appeler un dénouement sanglant des contradictions
entre Thomas Sankara et ses alter égo qu’étaient le commandant
Jean-Baptiste Boukari Lingani et les capitaines Henri Zongo et Blaise
Compaoré sont apparus d’abord dans la presse souterraine. Nos confrères
putatifs que sont les faiseurs de tracts ont répandu beaucoup de rumeurs
sur les 4 coordonnateurs du Faso, en particulier sur Sankara et Blaise.
Certains traitaient le président du CNR de mégalomane qui n’en
faisait qu’à sa tête, allusion au spontanéisme de l’intéressé, qui avait
cette propension à mettre ses compagnons devant le fait accompli.
D’autres rumeurs prêtaient à Blaise Compaoré l’intention de reprendre
la main : ayant été l’artisan du coup d’Etat du 4 août 83, il aurait
repris, le 15 octobre, ce qu’il avait «donné de garder» à Sankara. «J’ai personnellement participé à 2 coups d’Etat», avait d’ailleurs reconnu Blaise en 1987 (1) : celui du 4 août 83 et le 15 octobre 87.
Le paroxysme de cette guerre feutrée entre les premiers responsables
de la Révolution burkinabè sera atteint le 2 octobre 1987 à Tenkodogo à
travers le discours irrévérencieux de Jonas Somé, pour ne pas dire la
première canonade avant la lettre contre Thomas Sankara. En ce jour
anniversaire du Discours d’orientation politique (DOP), le lieutenant
Jonas Somé (disparu il y a un an dans un crash d’avion en RD Congo) osa
porter la contradiction à Sankara, avant même la prise de parole de ce
dernier.
Qui l’avait informé de ce que le leader du CNR allait dire ? Toujours
est-il que pour d’aucuns c’est ce jour-là que son destin fut scellé.
Ces derniers sont même convaincus que Sankara subordorait le coup qui se
tramait contre lui, mais ne fit rien contre, renvoyant les gens à ce
qu’il avait laissé entendre : «Si un jour vous entendez que Blaise
fomente un coup d’Etat contre moi, ce n’était pas la peine de vouloir le
contre-carrer, ce sera trop tard».
Les deux thèses sur ce jeudi noir
Trop tard fut en tout cas ce 15 octobre 1987 au soir où, «au pavillon Haute-Volta» du
Conseil de l’Entente, Tom Sank et 12 de ses compagnons d’infortune
furent abattus. Que s’est-il passé au juste ? Impossible de répondre de
façon tranchée, même un quart de siècle plus tard, à cette question.
Seuls
filtrent de temps en temps quelques confidences, rarissimes, sur ce
drame tels ce 18 octobre 2007 à Pô, où Blaise Compaoré s’est un peu
lâché en affirmant : «Il y a de la gêne à parler de gens qui ne sont
plus là, mais il y a des témoins qui peuvent parler, mon propre
chauffeur (NDLR : Maïga, décédé lui aussi il y a quelque temps) a été
reçu dans la chambre d’une personnalité, et on lui a fait des
propositions. On en reparlera un jour, mais ce n’est ni le lieu ni le
moment» (2).
Le général Gilbert Diendéré a affirmé : «Nous savions que Sankara
avait une réunion à 16 heures et nous avons décidé d’aller l’arrêter
là-bas. Peu après 16 heures, la Peugeot 205 de Sankara et une voiture de
sa garde sont arrivées devant le pavillon, une deuxième voiture de sa
garde est allée se garer plus loin. Nous avons encerclé les voitures,
Sankara tenait, comme toujours, son arme, un pistolet automatique, à la
main. Il a immédiatement tiré et tué un des nôtres. A ce moment, tous
les hommes se sont déchaînés, tout le monde a fait feu, et la situation a
échappé à tout contrôle» (3).
Et Blaise lui-même dit : «C’est pour avoir voulu nous liquider,
Jean-Baptiste Lingani, Henri Zongo et moi, qu’il s’est fait abattre par
des soldats qui me sont fidèles» (4).
Toutes ces affirmations créditent ce qu’on appelle la thèse du «complot de 20 heures», selon
laquelle Thomas Sankara projetait d’éliminer Blaise ce 15 octobre 1987 à
20 heures avec l’aide de son fidèle Vincent Sigué, à qui il avait
confié la redoutable FIMATS, une force d’intervention qui relevait
directement de Sankara. Foccart, le monsieur Afrique de l’Elysée des
années 60, 70 et 80, croit même savoir que Kadhafi aurait envoyé des
armes à Sankara pour cette opération (5).
Baliverses que tout cela, répondent en chœur les thuriféraires de
Sankara, qui estiment, au contraire, que Blaise a toujours pris mal
d’être vice-calife alors qu’il avait tous les moyens de devenir calife.
Pour eux, ce 15 octobre fut une opération préméditée, planifiée et
exécutée.
Ainsi en est-il de Valère Dieudonné Somé, qui laissa entendre qu’il
avait été tiré un jour de son lit par des militants qui lui ont presque
enjoint d’aller informer Sankara que les «partisans de Compaoré sont prêts à passés à l’offensive et qu’il faut réagir, sinon nous serons égorgés comme des moutons» (6).
On l’aura constaté, 25 ans après ces tristes événements, des zones
d’ombre, pour ne pas dire des mystères, demeurent qui se ramènent à
quelques questions basiques : qu’est-ce qui a fondamentalement opposé
ces deux frères d’armes pour qu’ils se quittent dans le sang ?
N’y avait-il pas une autre solution ?
Une chose est certaine : comme sous d’autres cieux, la Révolution
burkinabè a mangé ses enfants. Et après tant d’années, les deux camps
restent arc-boutés chacun à sa vérité. Seul le temps un jour éclairera
ce pan de notre histoire. En attendant, Blaise avoue «qu’il n’a pas changé, qu’il assume les idéaux qu’il a défendus et qu’il n ‘a pas de regret» (7).
Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana - Observateuur.bf
Notes :
(1) in Jeune Afrique du 4 novembre 1987.
(2) Confidences de Blaise Compaoré à Pô, parues dans l’Observateur Paalga du 22 octobre 2007.
(3) In Sankara, Compaoré et la Révolution burkinabè de Ludo Martens.
(4) in Jeune Afrique du 4 novembre 1987.
(5) in Foccart parle Tome II de Philippe Gaillard.
(6) in Thomas Sankara, un espoir assassiné de Valère Dieudonné Somé.
(7) in Jeune Afrique du 7 octobre 2012.